Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

Le mercredi 20 décembre 2023, les élèves de spécialité HLP (Humanités, Littérature et Philosophie) du lycée du Haut-Barr sont descendues au cloître des Récollets avec leur professeure Edwige Lanères, pour rencontrer deux peintres de grand talent : Vida Zaré et Marie-Jo Daloz, et savourer des « madeleines de Proust » au beau milieu de l’atelier.

Rendez-vous devant le sapin de Noël du lycée !
Un élève de terminale, Théo, nous accompagne au départ, puis nous filons vers le cloître, à la rencontre des peintres qui ont accepté de nous recevoir dans leurs ateliers.

En résidence aux Récollets, les deux artistes livrent aux lycéennes quelques secrets sur leur création. Vida Zaré peint de grands visages très expressifs ; leurs regards, leurs couleurs, les objets qui les environnent, tout est symbolique… et magnifique ! Les teintes flamboient, chamarrées, harmonieuses ; les formes se déploient avec force et générosité ; toute la personnalité de l’artiste est là, puissante, haute en couleurs ! Les élèves ouvrent de grands yeux éblouis et ne savent quelle œuvre choisir, quand la professeure leur demande de composer une ekphrasis poétique (un poème décrivant une œuvre d’art) sur l’un des tableaux. Clara adore les toiles abstraites ; Lou raffole du Petit Prince. Toutes admirent les portraits imaginaires, les petites œuvres composées à partir de feuilles d’arbres, et les vues d’Iran ou de Saverne : des photos retravaillées, magnifiées. L’ethos de l’artiste est aussi solaire que ses toiles !

Vida Zaré explique aux élèves la symbolique de ses tableaux, et parfois leur histoire. Ce grand visage bleu était fort différent, au départ. Il exprimait le mal-être de l’artiste, et ses teintes étaient plutôt rouges, brunes, jaunes. Puis il a changé ; sa métamorphose a accompagné la résilience de la peintre. Finalement, le visage est devenu bleu, de ce bleu qui représente l’apaisement, la guérison. 

Ces grands visages représentent des émotions et des sensations. Celui du centre, teinté de jaune et d’orange, met en avant les sens gustatif et olfactif. Le tissu violet sur son front montre qu’il est connecté au monde.


Diplômée de physique nucléaire en Iran, Vida Zaré a commencé à peindre en autodidacte dans son pays natal, puis, en France, cet art est devenu son métier. L’artiste s’est formée en art-thérapie ; elle anime des ateliers de peinture à Saverne.

L’artiste varie les techniques, les sujets et les styles. Certaines toiles confinent à l’abstraction, comme ce tableau noyé de brume bigarrée, où seuls les coquelicots sont véritablement figuratifs.

Les toiles abstraites sont inspirées de la nature : le tableau placé en haut (le préféré de Clara F.), c’est la forêt. Une explosion de couleurs ! Manifestement, ce n’est pas tant la réalité physique, qui est ici représentée, que l’intensité des émotions vécues par l’artiste devant le spectacle des bois. Les sensations ressenties se traduisent par des pigments très francs, et des empâtements aux reliefs saisissants !
La toile placée juste au-dessous s’inspire des fonds marins ; on y voit des poissons dans une sorte de grotte aquatique rouge.

Enfin le tableau placé au sol est incrusté d’élément naturels : deux feuilles de gingko biloba -l’arbre de vie-, une écorce de bouleau, un épi de blé, une pomme de pin, quelques graines. Choisies avec soins, les couleurs s’harmonisent à merveille, elles attirent et donnent envie de plonger dans cet univers onirique.

Sur le tronc exposé à droite, Vida Zaré a incrusté des yeux qui évoquent les vers du poème « Correspondances » de Baudelaire : « La Nature est un temple où de vivants piliers / Laissent parfois sortir de confuses paroles / L’homme y passe à travers des forêts de symboles / Qui l’observent avec des regards familiers ». Ici, nous ne sommes plus uniquement des êtres regardant la nature ; nous devenons des êtres regardés par elle.

La palette de Vida Zaré est haute en couleurs ! Il est arrivé qu’on lui fasse remarquer, presque comme un reproche, ces teintes « trop expressives », alors que ces couleurs si franches, si harmonieuses, donnent à ses toiles leur puissance et leur irrésistible beauté !

« Après avoir terminé ce tableau, j’ai compris qu’il racontait ma vie, explique l’artiste. A gauche, c’est l’Iran, la vie heureuse, amoureuse. Et puis il y a la coupure, et ces liens entre les deux mondes. La fleur, à droite, ce sont les traditions, auxquelles je reste très attachée. »

Vida Zaré travaille également à partir de photographies prises par satellites : des photos de l’Iran, sur lesquelles elle redessine les rivières, les villes, les ombres, les reliefs… Elle s’appuie aussi sur les photos prises par son mari, à l’aide d’un drone ; ce sont des vues de Saverne et des environs. Pour elle, les formes rectilignes représentent un esprit étroit, rigide ; voilà pourquoi, sur l’image des champs, elle a tracé des cercles, assouplissant cette impression d’excessive rigueur.


Mais l’heure tourne ; il est temps de rejoindre Marie-Jo Daloz et ses œuvres végétales, au rez-de-chaussée. La peintre, professeure à la Haute Ecole des arts du Rhin, nous fait asseoir sur des draps de lin, pour déguster avec nous les madeleines confectionnées par les élèves, en écoutant Edwige Lanères lire la célèbre page de La recherche du temps perdu, de Proust. 

Les élèves ont confectionné de délicieuses madeleines que nous savourons en discutant à propos de Proust, de la mémoire, de l’inconscient, et en écoutant Marie-Jo Daloz nous parler de son art.


Nous évoquons les réminiscences provoquées par les sens, et l’immensité des souvenirs reconstitués par le romancier à partir d’une si infime sensation : le goût de la madeleine trempée dans le thé recrée en lui « tout Combray et ses environs ». Les toiles de la peintre nous parlent elles-aussi du lien entre l’infime et l’immense ; Marie-Jo peint des brins d’herbe, des fleurs ; elle les suggère à peine, mais à travers eux, c’est toute la vie qui vibre. Ses créations disent le lien entre tous les êtres, organiques, végétaux, minéraux, et son art induit un dialogue avec la nature. 

Une fleur qui me dit


Marie-Jo Daloz a toujours voulu être peintre, mais dans les années 1990, cet art était considéré comme « ringard », dit-elle. Alors elle a sculpté, elle a pratiqué  d’autres arts plastiques. Un jour, pourtant, à l’île de Groix, elle a senti un appel, et s’est mise à peindre. Chaque matin, pendant trois heures, elle laissait ses enfants à garder à son mari, et elle allait sur les roches, trouver l’inspiration pour ses toiles.
Quand elle est retournée dans sa région natale de Franche-Comté, puis en Alsace, à Saverne, elle s’est identifiée à la forêt, aux troncs, aux brins d’herbe. Elle aime dépasser l’apparente séparation entre les animaux et les végétaux, et se pencher sur les ressemblances entre ces êtres. Pour ce faire, elle s’appuie sur les travaux de l’anthropologue Philippe Descola. En Amazonie, ce scientifique a vu des aborigènes parler aux plantes, aux arbres, comme si ces végétaux étaient leurs cousins.

Tempéra 4


Avec des herbes, aquatinte, M.-J. Daloz


Reprenant l’analyse que Gilles Deleuze, philosophe du XXè siècle, proposait sur l’art, Marie-Jo Daloz évoque le geste de l’artiste, ce geste qui fait advenir une réalité. Elle explique son art en employant des métaphores géologiques : la peintre fait « un magma », puis, à partir de cette matière, elle fait surgir une forme. On y reconnaît une herbe, une fleur, une écorce… « du chaos naît la couleur ».

La peintre devient poétesse, quand elle évoque les « signes » tracés par la nature.


Elle nous montre un leporello (livre plié en accordéon) qu’elle a peint en observant ces signes.

Maquette d’un livre à venir

Aussi ténus que des haïkus, les poèmes de M.-J. Daloz ressemblent à ses traits de pinceau : un geste, un mot fait advenir une image, comme une petite révélation, qui germe et grandit en nous. 


« C’est l’arbre au bord du chemin
Qui dessine les lignes du ciel. »

Un tableau, vous dis-je.
J’ai tant aimé ces deux vers que j’aurais voulu qu’ils fussent d’Hélène Dorion -la poétesse dont nous étudions le livre Mes forêts, pour le bac-.

Merci à ces deux artistes authentiques et passionnantes, pour leur accueil au sein de leurs créations ; les élèves et leur professeure gardent un souvenir enchanté de cette « madeleine de Proust » picturale et philosophique !

Voici les ekpraseis des élèves de Terminale HLP.

Rideau d’eau


Blanc ton rideau d’eau
multicolores tes reflets
à travers toi je vois la vie colorée
mais tu la voiles à mes yeux cette vie qui m’attend
j’aperçois derrière toi la couleur verte d’un arbre
sans pouvoir distinguer s’il s’agit d’un chêne ou d’un hêtre ce
dont je suis certaine c’est que tu n’es pas l’unique obstacle à ma vision
les larmes qui coulent troublent
cette création 
de la nature


Clara Ferrier

Le masque

Jaune d’or, couleur d’espoir et de joie !
Orange vif et doux
Les teintes d’or s’élèvent
hors de notre désarroi 
par-delà le masque social.

Bleu outremer, bleu intime
Outremoi, en moi
Où m’enferme ce masque lourd.
Masque de conformité, de normes,
-Sombres énormités-
Regardez-moi je l’ôte
Eclatent les couleurs
Je suis vraie
Je suis moi
Et toi


Mahla Tugend

 

Harmonie

Dans ses yeux
luit l’espoir
les feuilles dessinent leur ombre sur ses traits
son visage sans parole
chante aussi la mélodie
silencieuse
du désespoir
aux sourcils arqués
harmonie d’ocre et de vert
harmonie de gris
composé d’un prisme infini
de nuances
approchez-vous
écoutez son regard
qui murmure « Harmonie »


Amandine Dinh

 

Poisson dans l’or

Ce poisson nage dans l’or,
Gracieux ;
Ses nageoires dansent, sa queue le propulse,

Son museau blanc embrasse avec tendresse
Les petites fleurs de l’algue bleue
Qu’il savoure en se dandinant ;

Ces nuances de bleu du clair au sombre
Se démarquent avec aisance du doré
Qui resplendit au centre et fait danser ce poisson rouge


Naïs Meyer

Coquelicots


Les teintes se fondent se mêlent
vert lagune violacé rose tendre et blanc bleuté
dans l’eau mordorée surnagent des formes bleu roi
paillettes d’or et de cuivre brûlé
est-ce une harmonie
de la mélancolie 
cet océan de bleu me transperce le coeur
il me rappelle tant de maux vécus
le bleu ciel se mêlant à ce bleu océan presque noir me plonge dans le spleen
mais un rose éclatant mêlé au blanc restaure ma joie de vivre
de ce ciel surgit du jaune joie du vert espoir et du violet inquiet
enfin toutes ces couleurs ne forment plus une triste émotion
elles sont harmonies
cohérence
échos
sur la berge pousse un bouquet sauvage
frêle et vivace de coquelicots
rouge printemps
face à ce vide le renouveau fait surface
et sourit
la Terre se soigne
une renaissance 
commence


Solène Marinho

 

Signes


Une fille se balance
Elle tourne et fait des pirouettes
Sa chevelure brune au vent et sa robe coquelicot se meuvent autour d’elle
Ses pieds nus en contact avec la nature
Nature morte et noire dans le feu écarlate du mouvement
Une licorne immaculée
Se grandit sur ses pattes arrière
Puissance d’un art libre et d’une danse endiablée
Une magie violette et sombre l’enlaçant
Alors que leurs deux visages se fondent dans l’universel
Leurs gestes foisonnent de symboles de signes.

Lou Woelfel

Désert


Un désert rouge se fend en deux lignes d’eau
Des repères, des points de couleurs
Jaune, rouge, bleu, noirs se posent sur le sable
Tels des chemins, des lignes lient les repères colorés,
 parcours désespéré d’un voyageur perdu.

Zoé Debes


Vortex


Bénédiction étoilée
Subjuguée je suis par la voie lactée
Mon coeur reflétant les astres que j’ai contemplés
Trouve la sérénité que j’ai autrefois recherchée

Clara Bélot

Ondine


Clara Bélot est une jeune artiste singulièrement talentueuse, scolarisée au lycée du Haut-Barr. Elle a peint cette jeune femme après notre visite des ateliers de Vida Zaré et Marie-Jo Daloz. Il y a quelque chose d’Egon Schiele, en moins torturé, plus poétique. Cette Ondine est… renversante !

Merci aux DNA (journal Les Dernières Nouvelles d’Alsace) d’avoir publié l’article relatant cette belle rencontre. Et toutes nos excuses pour les neuf élèves de terminale HLP, neuf filles qui se sont vues transformées en garçons dans cet article originellement rédigé au féminin -aucun garçon n’étant présent- ; il s’agit certainement d’un malentendu.
Merci à la lycéenne Naïs Meyer, qui fait partie du groupe, et qui a pris les photos.
Un immense et chaleureux merci, surtout, aux peintres Vida Zaré et Marie-Jo Daloz, pour leur accueil chaleureux et pour la générosité de leur partage avec les élèves ! 
Et merci à la Ville de Saverne, et en particulier à Denis Woelffel, le directeur des affaires culturelles, qui a organisé, avec Frédérique Staub -chargée de communication de l’Espace Rohan- la résidence de ces peintres talentueuses ; quelle chance !
Merci au proviseur du lycée du Haut-Barr, M. Buttner, ainsi qu’à la proviseure adjointe Mme Jézéquel, qui donnent toujours carte blanche aux actions culturelles, dans l’intérêt de nos élèves.
Enfin merci aux lycéennes de terminale HLP, pour leur participation enthousiaste ! 


Edwige Lanères