Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

Le 9 juin 2023, une dizaine d’élèves des professeur·es Edwige Lanères et Régis Stanislavski apportent à de jeunes non-voyantes de Strasbourg un audiolivre sur la résistante Adélaïde Hautval.

Cette sortie constitue l’aboutissement d’un projet mené sur l’année scolaire 2022–2023 : l’enregistrement d’un audiolivre sur la psychiatre résistante Adélaïde Hautval, à partir du livret « Rester humain » d’Alice Faverot et Yannick Lefrançois, avec l’accord de l’historien Georges Hauptmann, auteur de recherches et de publications importantes sur « Haïdi ».
L’objectif de ce projet est à la fois pédagogique et citoyen.
Sur le plan pédagogique, il s’agit, pour les élèves 2GT2 et 2GT4 qui enregistrent le livre audio, d’améliorer leur diction, leur souffle, leur élocution, et de faire connaissance avec cette grande figure de la résistance, encore méconnue : Adélaïde Hautval. 

Maxens, Romane, Garance, Celena et Louisa travaillent leur souffle et leur diction pour enregistrer l’audiolivre.


Celena enregistre les pistes et fait le montage de l’audiolivre. 
Un immense merci pour sa patience et pour la qualité de son travail ! 


Merci également à Mélina (sur la photo), Louisa, Romane, Maxens, Noah, Camille, Garance, enfin à l’ensemble des élèves qui ont contribué à cet enregistrement.


Pour les élèves de 2GT6, qui ont réalisé les dessins en relief, c’était un véritable défi, assez complexe, qui les a poussés à maîtriser les logiciels de conception assistée par ordinateur. 
En ce qui concerne l’éducation citoyenne, les jeunes se sont mobilisé·es à maintes reprises, sur leur temps libre, après leurs cours, pendant plusieurs heures à chaque fois, pour enregistrer de façon satisfaisante les pages du livret. Celena Panevel a, en outre, effectué le montage final des pistes enregistrées, et Mélina Poisson a composé les musiques que l’on entend au fil de l’audiolivre. Les élèves étaient motivé·es par la perspective de donner à des jeunes non-voyant·es la possibilité d’écouter le récit de la vie d’Adélaïde Hautval, une héroïne qui a défié l’autorité des médecins nazis tel que Joseph Mengele, pour sauver la vie de nombreuses personnes déportées à Auschwitz. 

Mélina compose la musique de l’audiolivre.

Cette idée du partage de connaissances motivait également les élèves de 2GT6, qui ont réalisé des œuvres en relief et des écrits en braille. Nous avions tous et toutes hâte de rencontrer les jeunes non-voyantes, et d’échanger avec elles sur leurs modes d’apprentissage, les projets auxquels elles participent…

Le 9 juin, dernière journée de cours avant le stage de 2de (pendant les épreuves du bac de leurs aîné·es), nous montons en voiture, direction Strasbourg. L’ambiance est au beau fixe ; les élèves discutent sur leur orientation : plusieurs d’entre eux/elles vont se séparer du groupe afin de poursuivre leurs études dans des lycées qui proposent des spécialités rares, comme les arts plastiques.

Noah, Celena, Camille et l’ensemble des volontaires de 2de découvrent la médiathèque André Malraux de Strasbourg.

Enfin nous arrivons à la médiathèque André Malraux de Strasbourg, où nous sommes accueilli·es par Zelda Lienhart, assistante de bibliothèque au département langues et littérature, et ses collègues Laura Fritsch, Cathie Furst, et Marie Benedetti. Elles nous conduisent au 2ème étage, dans le département consacré aux audiolivres, où elles prennent le temps de nous présenter les rayonnages, les livres audios qui portent des étiquettes en braille, et elles nous parlent d’une application également disponible pour les élèves dyslexiques : c’est un dispositif qui permet aux étudiant·es de lire les livres par les oreilles.

Zelda expose le fonctionnement des prêts d’audiolivres, dans le département Littérature de la médiathèque André Malraux.


Chaque audiolivre porte une étiquette en braille, imprimée par Cathie.

Ensuite, les bibliothécaires nous emmènent dans la salle du Stammtish, où nous faisons la rencontre d’Orela Dragusha et d’Aya Khelladi, deux jeunes non-voyantes du lycée Marie Curie ; elles sont accompagnées de Florian Cadot, un enseignant spécialisé du Centre Louis Braille. 
Delphine Idoux-Thiebauld, assistante bibliothécaire, nous rejoint autour de la table, et un échange s’instaure naturellement entre les adultes et les jeunes des deux établissements, à propos de la résistante Adélaïde Hautval, mais aussi sur l’élaboration de l’audiolivre, des dessins en relief -un très beau travail mené par la classe « A fond les sciences »-, et du coffret contenant ces objets : une caissette entièrement réalisée par Régis Stanislavski. Le coffret et son contenu – quatre dessins en relief sur plaquettes rigides, deux clés USB contenant l’audiolivre et le livret papier sur A. Hautval- sont offerts à la médiathèque, afin que les personnes non voyantes y aient accès librement.

Accompagné de ses élèves Melih, Yannick et Tom, Régis Stanislavski explique l’élaboration des dessins représentant les actions de la résistante Adélaïde Hauval.

Il faut avouer qu’un frisson glacé nous parcourt l’échine quand nous écoutons ensemble les pages portant sur les expériences menées par les scientifiques nazis sur les femmes juives, et sur les fœtus que certaines d’entre elles portaient. Même lues par des amatrices, ces phrases transmettent une émotion bien plus forte qu’une lecture visuelle. Le phénomène est identique à celui que les lycéen·nes rapportent quand ils et elles écoutent des audiolivres enregistrés par des comédien·nes : il y a manifestement une plus-value émotionnelle quand la transmission passe par la voix.

Nous écoutons un extrait de l’audiolivre ; 
le récit des expériences menées par les nazis est glaçant.

Quant aux images, pour nos amies non voyantes et mal voyantes, elles apparaissent au bout des doigts, grâce au travail minutieux opéré par Régis Stanislavski, professeur de S. I. (Sciences de l’Ingénieur·e), et par ses élèves de la section ‟A fond les sciences”. 

Régis Stanislavski, professeur de S.I., explique la conception des dessins en relief. L’ensemble des élèves de 2de6 ont participé au projet, et quatre d’entre eux représentent ici la classe : Oscar, Melih, Yannick et Tom.

Ensemble, ils ont modélisé les dessins de Yannick Lefrançois, pour ensuite les imprimer en relief, sur différentes matières, afin de favoriser leur appréhension tactile. Néanmoins, l’illustration est mieux comprise quand nous l’accompagnons d’une description orale. Fort·es de ce constat, nous décidons d’un commun accord de prolonger ce projet l’an prochain, en rédigeant puis en enregistrant des audiodescriptions sur les dessins présents dans le livret. Nous demanderons à Orela, Aya et d’autres personnes mal voyantes ou non voyantes leur avis sur ces textes descriptifs, avant de les intégrer à l’audiolivre.

Aya et Orela découvrent les dessins en relief, mais la compréhension de ces images nécessite une description orale.

En attendant, les élèves de 2de6 du Haut-Barr ont appris à écrire en braille : à l’aide d’un poinçon et d’une tablette, ils ont copié sur une feuille cette citation d’Adélaïde Hautval : « Nous devrions aimer la vie plus que tout afin de ne pas nous souvenir uniquement de la haine et de l'amertume du passé. » 

 


Le texte gravé par nos apprentis scripteurs a été lu avec une facilité déconcertante par Orela : tout était juste ! Bravo les élèves !


Cathie, bibliothécaire non-voyante, explore les dessins en relief, 
entourée de ses collègues Delphine et Zelda.

L’ensemble des réalisations trouve un écho favorable, tant auprès des élèves non-voyantes qu’auprès des bibliothécaires : le coffret de bois réalisé par Régis présente de belles finitions, des détails admirables, tant au toucher qu’à la vue, les dessins traduisent un travail minutieux de la part des élèves, et l’enregistrement est avenant.

Les élèves de 2de6 ont rivalisé d’ingéniosité pour matérialiser, avec différentes matières, les représentations graphiques. Ils ont également choisi des contrastes forts, des couleurs vives, pour favoriser la perception visuelle des personnes mal-voyantes.


Le coffret fabriqué par Régis Stanislavski constitue un bel écrin 
pour les dessins, le livret et l’audiolivre.

Zelda et ses collègues ont su mettre en valeur l’audiolivre en le gravant sur un disque empruntable, rangé dans une pochette avec le livret sur Adélaïde Hautval. Le coffret contenant les dessins est consultable sur place, et une affiche a été placardée à l’étage des livres audios, pour les personnes voyantes qui seraient également curieuses de découvrir le « kit Adélaïde Hautval ». 

Présentation de l’audiolivre Adélaïde Hautval, à la médiathèque.

Elles ont également mis en ligne, sur le site de la médiathèque André Malraux, un article relatant la réalisation du « Projet Heidi ». Pour le consulter, cliquez sur ce lien : 
https://myriades.strasbourg.eu/des-lyceens-sessaient-au-livre-audio-et-tactile/

Quant au savoir-faire d’Aya et d’Orela, en ce qui concerne la lecture et l’écriture en braille, c’est assez sidérant : elles écrivent plus vite sur leur transcripteur que nous, quand nous tapons quotidiennement au clavier, à l’ordinateur. Ces compétences leur permettent de suivre un cursus normal au lycée, avec très peu d’aménagements spécifiques. Autrement dit, elles sont autonomes dans leurs apprentissages et leurs activités, au sein d’un établissement lambda. En classe, elles notent les cours grâce à leur convertisseur, qui permet également de lire des textes donnés sur une clé USB : la conversion se fait dans les deux sens, du texte « en noir » au braille, et inversement. 

Le convertisseur Sense permet de lire et d’écrire en braille.

Ce petit bijou technologique, aussi performant qu’onéreux (quelques milliers d’euros), permet aux élèves aguerries d’écrire et de lire aisément, surtout pour les jeunes qui ont appris le braille très tôt, comme Orela : elle a commencé cet apprentissage dès le CP. Quant à Aya, qui s’y est mise plus tard, elle a mis moins de quatre mois à maîtriser ce langage, ce qui qui constitue également une sacrée performance ! En revanche, l’appareil est moins adapté pour la géométrie ; Aya a beau aimer cette discipline, elle reconnaît en souriant que le braille s’y prête moins, même avec un bloc-note aussi perfectionné que le sien.

Orela explique le fonctionnement du Sense, et nous montre comment elle écrit : les 6 gros boutons correspondent aux 6 picots de chaque caractère en braille, et le septième permet d’aller à la ligne.

Les deux jeunes filles sont plutôt littéraires. Elles ont choisi les spécialités HLP (Humanités Littérature et Philosophie) et HGGSP (Histoire Géographie, Géopolitique et Sciences Politiques).
L’enseignant spécialisé qui les accompagne aujourd’hui, Florian Cadot, travaille pour le SA3S : Service d’Aide à l’Acquisition de l’Autonomie et de la Scolarisation. Il participe au suivi des élèves, mais au quotidien, elles sont autonomes. Cependant, elles expliquent que cette adaptation permanente engendre une fatigue accrue, car elle nécessite une grande concentration. Par exemple, pour se situer dans l’espace, c’est leur ouïe qui est sollicitée. Elles analysent chaque bruit, sa distance, son emplacement. Si bien qu’un environnement bruyant les épuise. En outre, les équipements urbains ne sont adaptés qu’à demi. Par exemple, dans les gares SNCF, sur les bornes permettant d’acheter les billets de train, il faut réserver via un écran tactile, donc seule une personne voyante peut le faire, ce qui oblige les personnes non-voyantes à requérir l’aide d’autrui. « Au moins, cela offre des occasions d’avoir des contacts humains », relativise Orela.
-  Par contre, intervient Cathie, une bibliothécaire non voyante, s’il vous plaît, ne dites plus « là » ou « là-bas », quand vous indiquez une direction ; pour nous, cela ne veut rien dire. Précisez « devant, à droite », ou « à une heure ».
-  Et pour nous appeler, certains profs disent « toi » ; comment pourrions-nous savoir s’il s’agit de nous ou de quelqu’un d’autre ? demande Orela ; il vaut mieux appeler les élèves par leur prénom.
-  Il ne faut pas non plus attraper notre canne pour nous guider ; ma tante l’a fait une fois, si bien que je ne pouvais plus savoir s’il y avait un obstacle au sol, un trottoir… »
Intriguée, Romane ose poser la question qui la taraude depuis le début : « A quoi ressemblent vos rêves ? »
    - Je crois que je vois des formes, des couleurs, répond Aya, car je ne suis pas aveugle de naissance.
    - Moi non, ajoute Orela. Il y a des sons, des sensations, mais pas d’images.
L’échange se poursuit calmement, puis viennent la soif, la faim, et l’envie de goûter le gâteau que nous a préparé Serge, le cuisinier du Haut-Barr : un délicieux quatre quarts au citron !


Nous nous retrouverons l’an prochain, pour enregistrer les audiodescriptions des dessins représentant les actes de résistance d’Adélaïde Hautval.

Avant de nous quitter, Noah, notre photographe attitré, tient à prendre un cliché original, fait de reflets encadrés dans la structure géométrique du bâtiment, pur produit du brutalisme, selon Maxens.

Le bâtiment de la médiathèque André Malraux, héritage du passé industriel de Strasbourg, est la plus grande bibliothèque de l’Est de la France, avec ses six étages de livres et de documents.

 Il faut reconnaître que l’édifice est remarquable ; il ne laisse pas indifférentes les âmes d’artistes des lycéen·nes ! Il y a un siècle, ce bâtiment était mixte : c’était à la fois un entrepôt d’armement et un silo à grain. Les architectes qui l’ont restauré ont voulu rendre hommage au passé industriel de la presqu’île André Malraux, en maintenant cet aspect brut.
Au revoir aux élèves du lycée Marie Curie et à leur enseignant ; au revoir aux bibliothécaires, merci à toutes et tous, et à l’année prochaine, pour les audiodescriptions !
                       

Edwige Lanères

Retour à sept dans la voiture, direction Saverne !