Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

RENCONTRE AVEC SERGE VIALLET :
LES IMAGES FILMEES NOUS
MONTRENT-ELLES TOUJOURS LA VERITE ?

Dans le cadre d’une action proposée par « Le Mois de l’Autre », et à l’occasion de la « Semaine de la Presse », la Terminale ES du Lycée du Haut-Barr, grâce à Mme Le Van, professeure de philosophie et à Mme Gourmelon, documentaliste, en présence d’un sympathique journaliste des DNA, est partie à la rencontre de Serge Viallet, présent à la Maison de la Région à Strasbourg, le mardi 14 mars 2017 de 9h à 12h. Formé à l’école nationale du cinéma à Paris « Louis Lumière », Serge Viallet a été caméraman pendant vingt ans. Depuis 2007, il réalise une série documentaire intitulée « Mystères d’Archives », diffusée sur ARTE, qui traite d’événements historiques ayant marqué l’actualité mondiale, en présentant des analyses d’images qui permettent de mettre à jour les intentions implicites de ceux qui diffusent l’information. Accompagné d’une équipe, et en coopération avec l’INA, l’émission compte plusieurs saisons diffusées dans de nombreux pays. Pour le documentariste, « Les images racontent le monde, mais le font-elles objectivement ? Il faut s’interroger sur leur provenance et les idées qu’elles veulent transmettre ». Par ses recherches dans les archives, Serge Viallet décrypte des aspects cachés de certains événements célèbres.
Depuis la création des News par Charles Pathé en 1908, les informations, au départ diffusées dans les salles
de ses cinémas, ont souvent véhiculé une vision simplifiée et exagérée des événements pour impressionner le public, et ainsi, faire de l’audience, ce qui était bénéfique aux recettes de l’entreprise. Serge Viallet met en garde la centaine d’élèves rassemblés dans l’amphithéâtre de la Maison de la Région : « Hier comme aujourd’hui, un scoop rapporte du business, alors la fidélité à la vérité risque de devenir secondaire ! ».

Après cette rapide présentation, le réalisateur a proposé l’analyse de plusieurs épisodes de Mystères d’Archives pour expliquer comment les images transmises sont construites pour conditionner l’opinion du grand public. Ainsi, la fameuse attaque par les Japonais de la base américaine de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, a été filmée par trois sources : par le cameraman officiel de la marine américaine Al Brick travaillant pour la Fox Movietone, par une caméra amateur, et par les Japonais. Tandis que les images japonaises ont servi à montrer l’ampleur du désastre américain, les images d’Al Brick et du caméraman anonyme ont été censurées par le gouvernement américain voulant minimiser leur défaite. Trois mois plus tard, l’armée américaine se livrera à une supercherie digne des mises en scène hollywoodiennes, en mandatant John Ford en personne pour réaliser un montage alliant des vraies images d’Al Brick avec des images de scènes reconstituées après coup, afin d’insister sur la lâcheté de l’attaque japonaise intervenant en pleine messe, un dimanche matin, et sur la gravité des dégâts, tout en soulignant le courage héroïque de la Navy faisant preuve de sang froid. L’histoire est revue et corrigée pour servir la propagande américaine !

Le documentariste est ensuite revenu sur des images de l’armistices du 11 novembre 1918 aux Etats-Unis. Ces images, qui ont été vues dans le monde entier, ont en réalité été prises le 7 novembre, à la suite d’une information non-vérifiée affirmant que l’armistice avait déjà été signée, diffusée imprudemment dans les journaux de New York. En observant image par image ces archives, Serge Viallet a pu établir le jour et l’heure de la réalisation de ces prises de vue des foules en liesse. L’absence de militaires, l’ensoleillement et les titres de journaux agités par la foule New-yorkaise, ont suscité l’étonnement du documentariste et de son équipe. Leur travail d’enquête a consisté à rechercher les titres de journaux avant et après le 11 novembre 1918. Ils sont ainsi parvenus à reconstituer comment un enregistrement réalisé le 7 a pu être présenté comme étant celui du 11 novembre. Un journaliste avide de scoop a fait connaître trop tôt l’intention d’armistice, ce qui a induit les journaux américains en erreur, mais le démenti n’est arrivé que plusieurs heures après que la foule ait célébré la signature non encore actée.  Comme le 11 novembre, il pleuvait et que les gens doutaient cette fois de la validité de l’information concernant l’armistice, les images prises étaient fades, on a alors préféré diffuser celles filmées quelques jours avant en confondant intentionnellement les dates ! Par cet exemple peu connu, mais qui a trompé le grand public, le documentariste sensibilise les lycéens sur la nécessité de la vérification des faits.

Enfin, des images prises dans la baie de Tokyo le 2 septembre 1945, lors de l’armistice du Japon face à la victoire des Alliés, ont été commentées et analysées par l’intervenant. Lors de la signature de l’acte officiel, le représentant du Canada se trompe de ligne sur la version destinée à l’Empereur du Japon, ce qui entraîne un décalage des autres signataires. Une telle erreur aurait pu rendre le document caduque. L’un des représentant des Etats-Unis va donc discrètement corriger les dénominations des signataires en paraphant ces ratures. Les caméras très nombreuses ont certes filmé l’incident, mais n’en ont rien montré au grand public auquel on présentera une mise en scène orchestrée par le général Marc Arthur pour promouvoir la domination américaine sur les représentant japonais vaincus. Par son enquête, Serge Viallet montre que cette étourderie aurait pu conduire
à la reprise des combats si les dirigeants japonais n’avaient pas accepté ce traité de paix raturé !

Le documentariste conclut en indiquant que « nous sommes héritiers d’une mémoire qui a été construite par des images », ainsi, sans le savoir, « nous avons une perception des é
vénements qui est entièrement fabriquée, souvent à des fins de propagande ou d’audimat », voilà pourquoi il importe d’être vigilant pour décrypter les informations, afin de ne pas se laisser manipuler. Le réalisateur déclare qu’il s’estimera heureux s’il est parvenu à faire partager son intérêt passionné et son esprit critique aux élèves, qui ne manqueront pas d’être prudents face aux informations, en ayant le souci de repérer d’éventuelles distorsions. Pour pasticher Cocteau : les images sont des mensonges qui ne disent pas toujours la vérité !

 

Compte-rendu réalisé par Maëlle Chétal, TES, et Mme Le Van.