Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

 
« La guerre c’est comme un bateau qui coule et toi t’essaies juste de nager », dit une migrante au centre Camarada de Genève, en Suisse. 
Deux artistes viennent chanter la tolérance au lycée du Haut-Barr, le 29 mars, pour la 1èS1 et leur professeure de français, Mme Lanères.
Des citations comme celle-ci, Claire Audhuy en a beaucoup recueilli durant son séjour au centre d’accueil Camarada, près de Genève : elle écoutait les migrantes, leurs parcours, leurs séparations, leurs retrouvailles parfois. Dramaturge et conteuse, Claire est venue au lycée du Haut-Barr, accompagnée d’Alexandrine Guédron, musicienne et chanteuse, le vendredi 29 mars 2019, pour nous présenter un documentaire théâtral sur les migrantes. 
« Un documentaire théâtral c’est quoi ? » nous demanda-t-elle.
 
 
 
Par une décomposition de cette expression, notre classe raisonna ainsi : si un documentaire sert à instruire, et le théâtre à divertir à partir d’un jeu, la traduction est simple. Les deux femmes allaient nous présenter des faits réels en jeu théâtral dans le but de nous faire réfléchir.
 
 
Mais avant de commencer, « Pour quelles raisons pouvons-nous devenir migrant·es ? » nous interrogea Claire. Les réponses fusèrent. Finalement nous nous rendîmes compte qu’être migrant·e n’est pas toujours associé à la présence d’une guerre : on peut migrer pour le beau temps, le travail, la famille ou par amour. Ainsi le terme de migrant n’est pas péjoratif dans son sens premier !
Suite à ce bref échange, les deux artistes nous présentèrent leur travail. Tandis que Claire nous contait avec émotion chaque histoire des migrantes qu’elle avait rencontrées, Alexandrine rythmait ses mots à l’aide de percussions d’origines différentes. Souvent, Claire interrompait son récit, Alexandrine chantait des chansons mélodieuses en langues inconnues pour nous mais familières pour les femmes qui avaient tout perdu en quittant leurs racines.
        « Dans notre langue elle est réfugiée, dans la sienne elle a tout perdu. »
Passant de la tristesse à la joie en passant par le doute et l’incertitude, Claire nous a plongé·es dans ces univers pleins de tendresse et de larmes avec sincérité et volonté.
 
 
Fort ému·es, nous nous sommes senti·es oppressé·es quand Claire s’est positionnée à l’arrière pour prononcer des ordres de persécution, dans un haut-parleur. Elle endossait le rôle d’un taliban qui déclamait à la population quinze règles de vie imposées. Les habitant·es n’avaient plus le droit de s’exprimer, d’écouter de la musique, de pratiquer un art, quel qu’il soit, et le port du voile intégral était obligatoire pour les femmes, sous peine de sévères sanctions. Cette tyrannie, fondée sur la peur et sur des règles invivables au quotidien nous a vivement frappé·es et indigné·es.
Au terme de cette représentation, un débat a été ouvert, sur le cas de Hénin-Beaumont, ainsi que sur la peur de l’autre. 
Hénin-Beaumont est une commune dans le Nord de la France dont le maire, voté à 50.2%, fait partie du Front National (maintenant appelé Rassemblement National). Une charte « Ma commune sans migrants » a été votée au conseil municipal.
 
 
Claire est restée pendant quatre mois dans cette ville, en « résidence d’artiste », peu avant les présidentielles de 2017. Elle a pu observer, écouter, et défendre la cause des migrant·es  qui sont discriminé·es et qui n’ont plus d’aide. En effet, cette charte a provoqué l’expulsion du Secours Populaire, mais aussi du CADA (Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile). Pendant des mois entiers, Claire a tenté de faire passer un message en jouant ses pièces de théâtre et en affichant des citations des migrantes. Les affiches ne restaient placardées qu’entre vingt minutes et deux heures au maximum : très vite, des militants du Front National venaient les arracher pour coller leurs propres affiches. Ces derniers avaient même employé une ruse particulièrement… blessante, pour éviter que leurs propres affiches ne soient à leur tour arrachées : ils mêlaient à la colle du verre pilé.
Pour tâcher de faire tomber les stéréotypes à propos des migrant·es, Claire Audhuy a travaillé avec une classe de troisième. Quand elle a annoncé aux collégien·nes que de jeunes migrant·es allaient venir les rencontrer, la plupart des élèves ont pris peur. Enfin des adolescent·s sont entré·s en classe, ils et elles ont dessiné mutuellement les portraits des un·es et des autres ; au bout de quelques minutes, la glace était rompue ; tous et toutes riaient ensemble. Une élève a demandé à Claire : « Au fait, ils viennent quand les migrants ? » « Ils sont en face de toi, depuis tout à l’heure, a souri la dramaturge. » Cette expérience redonne un peu d’espoir : l’humanité vit en chacun·e de nous, tant que nous ne nous laissons pas manipuler par la peur.
Malheureusement, le spectacle que Claire Audhuy a pu donner dans la salle polyvalente du collège fut le dernier, car le maire s’est empressé d’en faire une salle de sport. La culture n’est pas la bienvenue, actuellement, à Hénin-Beaumont.
Les livres non plus. Claire Audhy a offert plusieurs exemplaires de ses pièces à la bibliothèque municipale. Etonnée de ne pas les voir dans les rayonnages, elle est allée voir la bibliothécaire qui l’a fait descendre au sous-sol pour lui annoncer, en larmes, qu’on lui avait ordonné de ne pas les mettre sur les étagères. Privation de la liberté d’expression, censure, discours de peur, fermeture des centres d’accueil… toutes ces mesures sont proprement effrayantes. 
Nous remercions vivement Claire et Alexandrine pour leur intervention poétique, musicale et engagée !
 
Lilou Thiebaut George 1èS1