Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

 
Invités au lycée par Mme Lanères professeure de français, la chanteuse Aelle – alias Anne-Laure Hagenmuller- et le danseur de hip hop Locos – Sébastien Véla Lopez- ont initié les élèves de 2de5 à la parole à la danse qui disent la violence, pour s’en libérer.
Nous sommes le 5 mars 2019 ; le carnaval bat son plein au lycée du Haut-Barr. Et quel carnaval ! Pour célébrer la commémoration des trente ans du lycée, fondé en 1988, tous les élèves arborent des tenues bariolées, façon « années 80 ». L’ambiance est joyeuse, chaleureuse, mais très vite, les rires font place à l’écoute ; une écoute d’abord curieuse, attentive, puis de plus en plus émotive. 
 
 
« Je viens d’Elsau, à Strasbourg, commence Locos. Quand tu dis que tu viens d’Elsau, ça veut dire que tu sors de prison, parce qu’il y a une maison d’arrêt, là, dans mon quartier. Je viens de là, je n’y peux rien. Et c’est vrai que, ado, je correspondais au stéréotype : ne voyant pas trop l’intérêt des études, j’ai commencé à faire des conneries, avec des potes. Mais heureusement, il y a eu la danse. J’ai vu des danseurs de hiphop bourrés de talent. Ils venaient de quartiers difficiles, eux aussi, mais ils s’en étaient sortis, grâce à la danse. Alors je me suis dit que je voulais faire comme eux, et je me suis entraîné, tout le temps, tous les jours. Les copains me disaient : ‟ Arrête de faire ta serpillère.” Parce que, le hiphop, ça se danse beaucoup au sol. Mais j’ai persévéré. Un jour des chorégraphes ont lancé un concours, sur Strasbourg. C’était une sacrée chance, mais cette chance, je n’aurais pas pu la saisir, je n’aurais pas été retenu, embauché, si je ne m’étais pas entraîné tous les jours pendant des années. J’ai été pris, je suis devenu danseur, chorégraphe et, avec d’autres jeunes, on a fait des tournées en Europe et même plus loin encore. Mon rêve s’est réalisé. Aujourd’hui je vis de la danse, ma passion. Et je l’enseigne dans mon quartier natal, à Elsau, pour donner à d’autres jeunes l’occasion de s’exprimer par le hiphop. »
 
Applaudissements admiratifs. La classe est conquise.
 
Anne-Laure Hagenmuller prend la parole à son tour. Si elle ne vient pas d’un milieu difficile comme Locos, elle a néanmoins dû faire face au refus de sa famille, qui s’opposait à une carrière d’artiste pour leur fille : selon son père et sa mère, cet avenir était trop incertain, trop instable. Malgré tout, la jeune artiste a composé des textes, appris le théâtre, le chant, et elle mène actuellement une double carrière de comédienne et de chanteuse.
Ces deux parcours donnent des ailes aux élèves. Plusieurs d’entre eux ont véritablement une fibre artistique, plutôt vouée au dessin pour les un·es, au théâtre, ou à la danse pour les autres. Que leurs talents deviennent une source d’épanouissement personnel, ou même leur moyen de subsistance, comme pour Locos et Aelle, ils ne demandent qu’à éclore pleinement.
Cependant l’heure n’est pas à l’expression artistique, pas encore. « Dans une heure, nous danserons, mais pour lors, tirez des cartes, observez les images qu’elles représentent, et commentez-les ; vous avez la parole, annonce Aelle. »
Islana tire la photo d’une famille déchirée. Les visages deviennent graves, les gorges se nouent. Peu à peu les mots arrivent, douloureux, acides, sur les séparations, les enfances migrantes entre père, mère, tante, tribunaux… Par deux fois la professeure doit accompagner des élèves en pleurs au dehors, pour les aider à retrouver leur calme.
D’autres images surgissent des mains des lycéen·nes, parmi le tas de cartes : 
 
 
    • Une femme mince voit dans une glace son reflet… en femme obèse. 
 
 
    • Les symboles de « mâle » et de « femelle ». Et les autres genres ? 
 
    • Les icones de Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux…
 
Grâce à ces tremplins visuels, les élèves parlent, racontent, argumentent. Quelques rires gênés, nerveux, fusent. Des gorges serrées, des larmes aux bord des yeux. Cette séance, certainement salutaire pour libérer les maux et les mots, est chargée d’une émotion électrique.
Enfin Locos invite tout le monde à changer cette énergie en mouvements et en danse.
Placés en un vaste cercle, les élèves proposent un geste, l’un après l’autre. Tout le monde répète chaque geste, ce qui donne, au final, une farandole de pantomimes plutôt comique. Le clown s’emmêle les pieds, la sirène ondule, la rappeuse remue les épaules, le gilet jaune saute en l’air… Tout le monde retrouve le sourire, dans un hiphop improvisé, fort amateur, mais ô combien libérateur !
Locos esquisse quelques pas de hiphop -du vrai, du pro-, puis, sous les applaudissements, il laisse les jeunes s’exprimer corporellement, à leur manière. Gaëlle se lance, Gabriel aussi, et d’autres encore ! Ils font un tour de piste en saluant leurs camarades, et dansent leurs paroles, dansent leur joie, leurs peines aussi, au rythme d’une musique nette, précise, incisive.
Bravo les élèves !
Merci à vous, et merci à Aelle, à Locos, pour cette action si riche en émotions et en découvertes. 
 
Edwige Lanères