Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

 
Jeudi 9 janvier 2020, 20h00 ; le groupe d’Humanités Littérature Philosophie du lycée du Haut-Barr retrouve la professeure Edwige Lanères au château des Rohan, pour une soirée SLAM !
 
Narcisse, poète prestidigitateur, déclame ses slams au rythme du clavier, et de la guitare d’un comparse : Gaétan Lab.
Tout commence par un dé à coudre. « Savez-vous que si l’on remplace chaque atome d’air qu’il y a dans ce dé par un grain de sable, on en obtient assez pour en mettre sur toute la France une couche de trois centimètres ? 
Tant de sable quand on y pense
C’est presque impen-sable.
Mais ça donne une idée du nombre d’atomes qu’il y a dans ce seul dé. […]
Ça donne une idée du nombre d’atomes qu’il y a dans l’univers.
Sur un seul vers d’un poème
je peux combiner les 26 lettres de l’alphabet de tellement de façons différentes que j’ai plus de possibilités qu’il y a d’atomes dans l’univers.
Vous me direz qu’il y a beaucoup de combinaisons qui vont donner quelque chose comme : scrobsruksrokscluk. Prekpresalokprèlukpruk. Peut-être. Mais nous, les poètes, nous pouvons dire cela, si ça nous trotte dans la tête.
L’univers est moins grand qu’un poème d’un seul vers. 
Alors, en conclusion, face à toutes ces combinaisons,
Peut-être pourrions-nous être un peu plus universels,
Un peu plus unis vers celles
Qui nous rendent moins bêtes ;
Et si une chose est sûre
C’est que depuis la nuit des temps
La censure
A du sang sur
Les mains. »
Le ton est donné : rationnel, poétique, engagé.
Au fil des slams, Narcisse pulvérise les baillons de ceux qui ordonnent : 
 
                            « Toi tu te tais. »
 
Ceux qui frappent.
Ceux qui violentent.
Ceux qui décident.
Ceux qui réduisent au silence.
Ceux qui influencent nos achats.
Ceux qui critiquent les filles de joie.
 « Moque ! Triche ! Troque ! Prie.
Hais ! Casse ! Chasse ! Bats ! Prie.
Vise ! Viole ! Voile ! Tire ! Tue ! »
            « Je suis de ceux qui croient que ceux qui croient tuent. »
Narcisse croit en la vie.
Il croit en la poésie, et en l’amour.
Sans niaiserie.
« Lis, cherche, sème, vis.
Flâne, chante, pense, danse, vis.
Clame, slame, aide, aime, vis. »
Le magicien manipule les écrans de télévision placés derrière lui ;
il les déplace, se place derrière eux ;
les postes deviennent des tables de mixage, des instruments, des clones de Narcisse, un chœur de chanteurs, ou même une femme mécanique.
En musique et en slam, défilent les pires productions de la société capitaliste, consumériste, matérialiste.
« Oppan gangnam style » entonne le chanteur sud-coréen Psy.
« On a passé plus de temps à regarder ce stupide clip 
qu’à construire les pyramides d’Egypte. »
Narcisse nous laisse méditer sur l’infini de l’espace, du temps, de la poésie… et de la bêtise humaine.
Contre la censure,
contre la substitution de l’intelligence par l’abrutissement médiatique, 
il slame :
  TOI TU TE TAIS
Pour TOI on se TUe
Et on TE respecTAIt
Mais TOI t’es pas fouTU
De t’en TEnir à c’que T’ES  
Descends des éTOIles
Perds de l’altiTUde
Sois moins vaniTEux
Reviens sur TErre
TOI, change ton attiTUde
Et cesse de TE croire
TEllement extraordinaire
  TOI - TU - TE – TAIS 
Le rythme pulse, les vers se superposent : une strate, puis deux, puis trois, sur la musique.
Sur le canevas « Toi – tu – te – tais », le slameur intercale ses vers, qui reposent parfaitement sur les quatre monosyllabes en « T ». Quelques mesures plus loin, une troisième voix s’imbrique entre les syllabes ; toujours la voix de Narcisse, mais voilée. Les vers reposent en équilibre, les uns sur les autres, telle une pyramide verbale.
Quelle virtuosité !
Le public est conquis.
Et pour boucler la boucle d’un monde à l’envers, Narcisse rembobine tout le spectacle, dévoilant ses palindromes, comme le mot « sens » qui fait sens dans les deux sens. 
 
« Vous entendiez des VERS, je voulais vous parler de REVES.
Vous entendiez des MOTS, je voulais vous parler des HOMMES. »
Voilà de quoi aiguiser nos sens ! Et notre sens… critique.
A la sortie du théâtre, en haut du double escalier, nous rencontrons l’artiste. Les élèves d’HLP semblent un peu intimidés par l’allure du slameur : grand, athlétique, chaussé de Doc Martens et vêtu en rockeur -jean noir, blouson de cuir-, Narcisse arbore un regard profond, un visage taillé dans le roc. Pourtant, un sourire chaleureux brise aussitôt la glace ; il dialogue aimablement avec les jeunes et leur professeure. Le poète a choisi, pour nom de scène, le prénom de son grand-père, Narcisse. « Je viens d’une région toute proche d’ici, où les gens ont un drôle de parler médiéval que personne d’autre ne comprend, donc nous sommes pareils » assure le poète originaire de Suisse Romande. 
Pareils ? Si seulement…
A défaut de pouvoir slamer comme lui, nous comprenons son engagement, nous saisissons l’urgence de … ne pas se taire.
 
Un vif MERCI à Narcisse !
 
Edwige Lanères
 
Suivez ce lien pour découvrir un extrait du spectacle Toi tu te tais :