Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

Confinement oblige, les élèves d’Edwige Lanères ont suivi le spectacle de la conteuse Claire Audhuy et du violoncelliste Tristan Lescêne, via la classe virtuelle, le 8 juin 2020.
Deux fois par semaine, avec les classes de 2des et de 1è, nous nous retrouvons sur les ondes, par écrans interposés. Pas de visages, ou rarement, mais des voix, bien reconnaissables, quelques échanges sur la vie confinée, quand on se connecte avant le début du cours… et puis des diaporamas interactifs, des petits sondages, et des tchats au kilomètre pour continuer à apprendre, à découvrir.
 
Cette fois, c’est la 2de2, qui bénéficiera d’une action culturelle, fût-elle « virtuelle ».
Laissons de côté les poèmes de Victor Hugo, les textes argumentatifs sur le transhumanisme, et même les essais et autres contractions de textes.
Une écrivaine engagée, Claire Audhuy, devait venir au lycée, accompagnée d’un talentueux violoncelliste, pour nous raconter l’histoire d’un enfant poète, et nous donner à entendre les vers du jeune artiste.
Malheureusement, à cause de la crise sanitaire du COVID19, la conteuse a dû renoncer à toutes ses représentations, comme l’ensemble des intermittents du spectacle.
Dites, les élèves, supposons que, dans la fable de La Fontaine, nous soyons les fourmis, et que les artistes soient les cigales. L’hiver, ou plutôt le confinement arrive. Ayant mis de côté de quoi subsister, nous vivons reclus, comme il se doit. Mais les cigales ne peuvent plus chanter. Que ferons-nous ? Laisserons-nous les chanteurs et les musiciens s’éteindre à l’écart ? Ou les inviterons-nous, via les ondes, à chanter encore ?
Oui, bien sûr, qu’elles chantent, les cigales !
Aussi avons-nous invité Claire Audhuy à nous rejoindre sur notre classe virtuelle habituelle, le lundi 8 juin, de 10h à midi. Auparavant, Mme Lanères avait préparé les élèves au spectacle qu’ils allaient voir, en leur présentant le diaporama que vous pouvez consulter ci-dessous.
    • Cliquez sur « Lecture seule » pour ouvrir ce diaporama.
 
 
Qui est Hanuš Hachenburg? Comment Claire Audhuy a-t-elle découvert ses poèmes ?
Hanuš Hachenburg était un enfant tchèque, né à Prague en 1929. Déporté à l’âge de 13 ans au camp-ghetto de Theresienstadt, il composa une vingtaine de poèmes, ainsi qu’une pièce de théâtre, qui furent publiés dans le magazine clandestin Vedem : une revue hebdomadaire, écrite à la main par les enfants de la république imaginaire de Skid !
 
 
Si ses écrits semblent obscurs de prime abord, c’est que l’adolescent les a voulus ainsi. Ecrire, c’est se dévoiler, et risquer la moquerie, comme autrefois, à l’orphelinat. Alors Hanuš déploie des images que seuls les êtres « de son tempérament » peuvent comprendre. Pourtant, chacun peut en voir la beauté fulgurante : elle saute aux yeux, aux oreilles, à tous les sens. Et dans ce contexte carcéral, morbide et mortifère, les vers de l’enfant prennent l’ampleur d’un tragique espoir. 
« Pour boire la lumière 
Je suis seul 
Dans les cendres après une flamme
Et je le sais :
Il n’y a rien. »
Le poète clandestin aurait-il deviné la mort qui l’attendait à Auschwitz ?
Il chante pourtant la beauté de la vie, du vent, des roses.
Mieux encore : il fait rire aux éclats ses camarades du « Foyer 1 », dans l’ancienne école devenue le bâtiment L417. Le jeune dramaturge écrit pour eux une comédie satirique : On a besoin d’un fantôme. Analphabète Ier, caricature d’Hitler, veut ramasser les ossements humains des sexagénaires pour en faire un fantôme d’Etat. L’humour noir côtoie le burlesque et l’absurde, dans une féroce parodie de la dictature nazie.
 
 
Mais l’enfant poète et dramaturge ne survécut pas davantage que son célèbre aîné, Robert Desnos, lui aussi décédé à Theresienstadt. Dès 1943, Hachenburg fut déporté à Birkenau. Il mourut gazé, en 1944, deux jours avant l’anniversaire de ses 15 ans.
Claire Audhuy rend hommage à cet artiste talentueux, en publiant ses écrits aux éditions Rodéo d’âme, dont elle est la fondatrice. L’écrivaine était encore étudiante quand elle lança un appel international, en 2013, pour écouter les témoignages de personnes qui auraient vu des formes d’expression théâtrale en milieu concentrationnaire, ou qui auraient participé à l’écriture, à la représentation de pièces en camp de concentration. La doctorante a fini par recevoir un appel d’une vieille femme, qui lui a dit de retrouver une personne témoin à New York. Ses recherches l’ont ensuite menée en Israël, puis en République Tchèque. Enfin, dans les archives de Prague, elle a trouvé la pièce d’Hanuš Hachenburg, publiée dans les dernières pages du magazine Vedem.
 
 
Après avoir monté cette comédie à maintes reprises, en France et même à Terezín, Claire continue à transmettre la parole du jeune écrivain, en contant, en récitant.
Mais auparavant, elle prend le temps de rencontrer les élèves. 
Bonjour, la 2de2 du Haut Barr ! Bonjour Ewann, Auxane, Pauline, Elias, Simon, Quentin, Sana, Caleya, Mélanie, Victor, Margot, Romane, Lucas, Rodolphe, Dimitri, Enzo, Jérémy, Clara, Maxime, Keylian, Maxence! Les autres arrivent, ils se connectent. Entrez dans la classe virtuelle !
Histoire que nous nous sentions encore un peu ensemble, Mme Lanères prononce les mêmes phrases qu’au temps de la présence réelle -au temps d’avant le confinement- : « Otez vos couvre-chefs. Bonjour ! Vous pouvez vous asseoir. Sortez vos affaires. Vous allez bien ?... »  
« Comme vous le savez, nous accueillons aujourd’hui l’écrivaine Claire Audhuy, qui nous contera les poèmes d’Hanuš Hachenburg, l’enfant poète de Theresienstadt. Je lui laisse la parole ; n’hésitez pas à allumer votre micro pour intervenir, ou à tchater, comme d’habitude. »
L’artiste s’est initiée aux modalités de la classe virtuelle quelques jours auparavant ; elle maîtrise parfaitement son rôle de « modératrice », les partages d’écran, de documents, les mini sondages, et tout ce qui peut rendre vivant cet échange via les ondes.
 
 
 
Premier petit sondage : « D’après vous, Theresienstadt était :
    • L’Eldorado des Juifs
    • Un camp de concentration
    • Un camp d’extermination »
Les réponses fusent…
Quelques élèves répondent « l’Eldorado des Juifs », car ils se souviennent de cette histoire invraisemblable : la transformation express du camp en centre d’accueil modèle. Pour faire taire les rumeurs sur l’insalubrité, les mauvais traitements infligés et la mortalité qui sévissait à Theresienstadt, les autorités avaient invité le personnel de la Croix Rouge à visiter le camp. Dans cette perspective, ils avaient envoyé des milliers de prisonniers à Birkenau, pour remédier à la surpopulation. Puis ils avaient demandé aux jeunes artistes survivants de jouer l’opéra qu’ils avaient monté au sein du camp : Brundibar ; une œuvre composée par l’un des captifs : Hans Krása.
 
 
Deuxième sondage : « Certains Juifs ont dépensé des fortunes pour aller à Terezín, car les nazis leur avaient dit que :
    • C’était un spa avec vue sur le lac
    • C’était obligatoire pour eux. »
Là encore, le cynisme de la réalité dépasse la fiction. Oui, les nazis ont bel et bien fait croire à plusieurs familles juives aisées que Theresienstadt était un agréable camp de vacances, surplombant le lac de Žernosecké.
Les échanges se poursuivent, tantôt par l’intermédiaire de ces mini quizz, tantôt par tchats ou à l’oral, à propos des conditions de survie dans le camp, de l’expression artistique pour se sentir humain, ou encore de la République de Skid, fondée par les enfants et les adolescents du bloc. 
A présent, écoutons les images de l’enfant poète, contées par la voix de Claire, et chantées par celle du violoncelle, tantôt en contrepoint, tantôt en accords profonds, sonores, ou en harmoniques légères comme le vent…
 
 
« Ce morceau de saleté
A l’intérieur de ces murs sales,
Et ce morceau de fil de fer tout autour
Et ces trente mille personnes endormies
Qui se réveilleront un jour
Et un jour verront leur propre sang se répandre […]
Là, au loin,
Où la jeunesse dort gentiment sur les chemins de Stromovka,
Là, au-dessus de cette maison,
Sur la pente descendante où il n’y avait que du mépris pour moi,
Là, quelque part au milieu des jardins et des fleurs 
Où ma mère me fit naître afin que je puisse pleurer,
Je dors sur mon grabat,
A la lumière d’une bougie,
Et peut-être qu’un jour je me rendrai finalement compte
Que j’étais une petite créature, minuscule,
Aussi petite que le cœur de ces trente mille personnes. »
 
Claire Audhuy distille un à un les vers, les sons, les silences.
Dans sa voix la poésie d’Hachenburg devient si vivante qu’on la croirait composée pour être dite, plutôt que lue.
Tous les poèmes sont traduits, bien sûr, et les sons chantent une autre mélodie en tchèque, mais les images, les rapprochements insolites, les aspirations à la joie nous parviennent. Impressions saisissantes !
 
 
« La vie se réveille doucement de ma tasse
Et me sourit de façon saoule.
Comme la rosée tombe joliment sur le champ !
Et les bourgeons ont l’odeur d’un narguilé,
Et la lune étincelle de sa lumière moqueuse,
Si désespérément, pourtant si joyeusement.
Et le rougeoiement de l’aube
Sonne comme un ouragan
Dans le temple de terreur de l’église.
C’est la vie qui s’éveille.
Ses bras, ensanglantés et déchirés par la mort,
Sont étendus dans notre direction.
A l’ami, à l’ennemi,
Elle chante son hymne,
Dans le temps le pas lourd.
Ses bannières devant, en opposition,
Sont des haillons qui signifient nos temps.
Et les pas résonnent
Le bourdonnement de toutes les notes de la vie !
Et l’oiseau chante sur le béton dur,
Et le tilleul fleurit.
Des pas résonnent au loin…
Ecoutez les voix qui rient,
Simplement qui rient,
Comme un cercueil étendu,
Comme un vieux pot en fer.
Ecoutez le son des vents qui s’élancent,
S’élancent dans les fleurs
Les sons des canons, des fusils et des mitrailleuses.
Ecoutez les lendemains dans leur puissance,
Achetés dans la chair et dans les os de la vie.
Ecoutez le pépiement des oiseaux
Dans le bruissement.
Regardez dans le soleil, l’herbe, la ville
Et vous verrez la vie ;
Pas un paradis céleste.
Laissez cela fleurir,
Vie, martèlement. »
 
 
 
« Le cœur est un feu »
Le spectacle s’achève sur de longues notes profondes, comme si le violoncelle se mettait, lui aussi, à chanter les poèmes de l’enfant.
Retour à la lumière, au présent.
Les élèves, un peu sonnés, partagent leurs impressions.
« La musique du violoncelle vous a-t-elle aidés à mieux saisir les émotions ? le sens des vers ? à vous évader ? »
Oui, le chant de l’instrument souligne la poésie ; on entend le rythme du train, le battement du cœur. Et l’éveil du camp, les voix, les pas… La musique colore et parfume les images.
 
 
Mille mercis à vous, Claire Audhuy, Tristan Lescêne, pour cet hommage musical au jeune poète Hanuš Hachenburg.
Merci pour cet échange si riche, et pour ces émotions partagées.
Et merci à vous, les élèves, pour la belle curiosité intellectuelle dont vous avez fait preuve, pour votre sensibilité et votre ouverture d’esprit !
Edwige Lanères