Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

 
Les élèves du lycée du Haut-Barr assistent à une représentation insolite de la pièce de Thierry Simon, Et y a rien de plus à dire, le vendredi 8 janvier 2021, avant de participer aux ateliers théâtre animés par l’actrice, Suzanne Emond, invitée par la professeure de français Edwige Lanères.
 
« Il a pas à me dire ça c’est tout parce que c’est faux
 y a rien de plus à dire »
La pièce de Thierry Simon cogne, percute, et s’envole, parfois, en silences et en poésie.
C’est Suzanne qui l’interprète. Suzanne Emond, jeune actrice au talent grand comme ça. Précise. Percutante elle-aussi, comme la pièce.
Pour les élèves du lycée du Haut-Barr, elle joue dans la cantine, puisque les théâtres demeurent fermés. En ce vendredi 8 janvier 2021, la quasi-totalité des élèves de 2de6 et de Terminale HLP (spécialité Humanités Littérature Philosophie) se sont retrouvés au réfectoire, pour assister à une représentation insolite. Toute la compagnie de la Lunette est là ; l’équipe technique a monté la scène longiligne, les enceintes, les échelles de métal supportant les projecteurs, et une cinquantaine de sièges pour le public. Suzanne a l’air buté d’une ado. Sourire à l’envers. Les jeunes spectateurs savent pourquoi. Ils ont lu la pièce. Ils en ont joué quelques extraits, lors d’un premier atelier théâtre que Mme Lanères a animé, faute de pouvoir faire venir l’actrice en décembre, dans un contexte de « vigilance attentats » et de crise sanitaire. 
 
 
 
 
Les jeunes ont également enregistré des passages et commenté la pièce, sur un padlet commun avec le lycée Leclerc.
 
 
Donc ils savent pourquoi Suzanne arbore cette moue. Ils ont en mémoire les premières phrases :
« Il avait pas à me dire ça d’accord
Il avait pas à me dire ça c’est tout
Je parle pas trop fort j’articule pour qu’on me comprenne ça sert à rien de parler si personne te comprend il avait pas à me dire ça c’est tout »
Ponctuation absente, comme dans certaines pièces de Koltès, et même dans le recueil d’Apollinaire, Alcools. Cette absence étonne ; pourtant elle remonte à plus d’un siècle.
Après la représentation, Eliott, un élève de 2de6, demande à l’actrice quelles possibilités offre cette écriture singulière.
« - Cela me laisse une grande liberté. Je place les respirations comme je l’entends, ainsi je donne au texte le sens que j’y trouve. Parfois la metteuse en scène, Sylvie, n’est pas d’accord avec moi. Par exemple quand je dis « quoi la prochaine fois », à propos de la danse, mon personnage est surpris, alors que Sylvie y voit autre chose. 
    - Et comment avez-vous fait pour apprendre tout ce livre ? demande une autre spectatrice.
    - J’ai travaillé, tout simplement, j’ai appris.
 
 
Eléa s’étonne : « - Ce n’est pas trop dur, de jouer une fille dérangée ? 
    - Ah, répond l’actrice. Vous la trouvez dérangée ? Je ne trouve pas… J’ai bien aimé jouer cette fille ; cela m’a amusée.
    - Ce dispositif scénique, en bi-frontal, vous expose beaucoup, constate la professeure.
    - Oui, je perçois chaque réaction du public, chaque petit mouvement…
   - Cette grande proximité, c’est ce qui était recherché, intervient la metteuse en scène Sylvie Bazin. Suzanne n’est pas dans une situation confortable, mais elle interagit, en quelque sorte, avec les spectateurs. Ce spectacle est fait pour être joué hors les murs : la scène est démontable, ainsi que les échelles, les projecteurs, tout.
La discussion se poursuit, aussi calme, rythmée et fluide que l’était le jeu de Suzanne. 
Une des dernières scènes se déroulait à l’aube, dans les calanques, pile au moment où chez nous, pendant le spectacle, le soleil se couchait derrière les Vosges. Le couchant se substitue au levant, les monts aux falaises, le réfectoire au théâtre, mais la poésie est là, tangible et vibrante, dans un Art Vivant enfin retrouvé !
En partant dans la nuit, les élèves de 2de6 pensent retrouver Suzanne une semaine plus tard, pour les ateliers théâtre… Douce illusion !
Le vendredi 15, la neige transforme les séances « présentielles » en séances virtuelles. Et y a rien de plus à dire ? Si !
Avec le dégel, Suzanne revient au lycée, le mardi 19 janvier, pour un atelier en Terminale HLP. Tout le monde est masqué, comme toujours. On se place en cercle sans se tenir la main, évidemment… L’actrice a adapté ses activités : après l’échauffement, les transmissions d’énergie entre élèves se font sans contact, via les gestes et la voix. Nous envoyons un signe en captant le regard de notre destinataire ; il ou elle l’attrape, le renvoie. Le signe se met à brûler, il part plus vite ! La boule d’énergie pèse lourd, on la réceptionne concrètement, avant de la renvoyer de façon précise. Les signes ont des sons : « Zig ! » à gauche, « Zag ! » à droite, « Zoug ! » dans le cercle ; ils fusent de plus en plus vite ; les réflexes et la concentration s’aiguisent. Nous voici paré·es pour le jeu théâtral.
 
 
Placés en ligne, les jeunes reconstituent, par leurs déplacements, la scène étroite et longiligne « comme une piste de bowling, ou une rampe de lancement », sur laquelle Suzanne joue la pièce de Thierry Simon. Excellente pédagogue, l’actrice donne des consignes très progressives. Jamais elle ne demande aux apprentis comédiens de jouer plus vite, ou plus lentement, ou d’avoir l’air pressés tout en tâchant de paraître sereins. Non, ce serait bien trop ardu. Elle leur propose des situations concrètes, et d’un coup, le jeu devient intéressant !
 
    - Vous êtes contents, heureux.
    - Vous êtes contents, mais en retard.
    - Vous êtes contents, mais en retard. Tout à coup vous vous apercevez que vous avez oublié quelque chose. Marquez un arrêt. Mais il faut repartir, et vite, tant pis pour l’objet oublié.
Les élèves apprennent à marquer les étapes de façon plus nette. A varier les rythmes de façon signifiante. Et le tout, sans même soupçonner l’intention pédagogique de l’artiste.
 
 
    - Vous avez une envie de plus en plus pressante, mais vous vous trouvez dans un corridor muni d’un tapis roulant ; une vieille dame vous précède, et vous ne pouvez la dépasser.
 
 
Les jeunes défilent ; leur allure est nécessairement ralentie par cette vieille dame imaginaire.
 
    - Bien. A présent, à mi-parcours, disons arrivés à ce dictionnaire, vous rencontrez votre patron, ou alors la personne de vos rêves. Malgré votre envie très pressante, vous tâchez de faire bonne figure. Et vous suivez toujours la vieille dame.
Les corps prennent des postures naturelles, les visages des expressions réalistes, malgré les masques. Et tout cela, grâce à ces propositions concrètes, qui sollicitent l’imagination des apprenti·es comédien·nes.
Ce qui est saisissant, surtout, c’est la mise en abîme. 
Quand Suzanne joue la pièce Et y a rien de plus à dire, elle incarne une adolescente -sans l’incarner tout à fait, car elle ne veut pas tomber dans la caricature de l’ado « paumée » ; ce serait trahir à la fois le texte et les ados-. Mais elle s’empare de la parole de cette jeune fille, et, à travers sa voix, elle fait entendre d’autres voix : les paroles du père, celles de son éducatrice, celle de son ami Tristan… Ce sont des situations d’énonciation complexes à jouer. Quand elle est pleinement l’adolescente, elle se voûte. Mais lorsqu’elle joue aussi l’éducatrice, racontée par l’ado, elle se redresse un peu (pas complètement, puisqu’elle reste en même temps l’ado).
Comment transmettre aux élèves cette capacité à jouer deux personnages en même temps, ou deux postures simultanées, et qui sont comme emboîtées, à la façon des poupées gigognes ? Inutile ! Ils et elles savent déjà le faire !
    - Nous sommes à la fête de l’école. Vous êtes ravi·es de participer au spectacle de fin d’année mais, pas de chance, vous avez le rôle le plus pourri, celui du radis. Vous vous déplacez en crabe, mais, en dépit de votre honte, vous essayez de rester dignes.
 
 
    - Très bien ! A présent, vous me refaites ce passage, mais, à mi-parcours (là où vous voyez ces recueils de poèmes), vous croisez le regard de celui ou celle que vous aimez, et qui vous adresse un sourire sincère, radieux.
    - Super ! A présent, refaites ce passage, mais vous vous apercevez que ce n’était pas à vous que le sourire de votre bien aimé·e était adressé.
 
Et tout naturellement, les élèves jouent plusieurs sentiments en même temps.
Tout naturellement, ils et elles donnent à voir des postures riches, complexes, des millefeuilles de contradictions.
Comme Suzanne jouant une adolescente rebelle qui rapporte les paroles de son père.
Tant de richesse, tant de complexité, simplement par le jeu !
Grâce aux ateliers de cette talentueuse actrice et metteuse en scène, les jeunes trouvent en eux les ambiguïtés et les paradoxes qu’il serait fastidieux d’expliquer de façon purement théorique.
En outre, ils interagissent, ils inventent des histoires de façon collective, simplement par le jeu des déplacements proposés lors de la dernière activité.
 
    - Mini pause ; restaurez-vous, piochez une phrase extraite de la pièce, et apprenez-la.
 
 
    - Ça y est ? Reprenons. Vous marchez, à l’allure qui vous convient, d’un point A à un point B. Au signal, soit vous rejoignez un groupe (il ne peut y en avoir qu’un seul), soit vous vous isolez. Vous pouvez vous éloigner.
 
 
Des groupes se forment, certains jeunes s’écartent des autres, et les phrases sont projetées, tantôt en direction du groupe, tantôt vers les personnes seules. Le « chœur » agit et parle comme le ferait une seule personne, même si nous prononçons chacun notre phrase, l’un après l’autre. Nous adoptons tous et toutes la même intonation, si nous avons choisi de faire partie du groupe. L’effet est puissant ! Cela raconte quelque chose. Une cohésion. Et peut-être aussi la force d’un collectif, face aux personnages isolés.
 
 
 
A la fin de cette séance, Suzanne discute avec les jeunes, à propos de leur orientation. Certains élèves se sentent inquiets : leurs vœux sur Parcoursup seront-ils acceptés ? Ont-ils fait les bons choix ? 
    - N’oubliez pas que vous pouvez voyager, étudier en Allemagne, en Belgique, ouvrir vos horizons afin de découvrir différentes façons de percevoir le monde. Apprenez les langues étrangères : en un an à peine, vous maîtrisez suffisamment l’anglais ou l’allemand pour suivre votre cursus. Souplesse, adaptations : c’est la clé, aujourd’hui.
Un grand MERCI à Suzanne Emond pour ce spectacle si fin, si sensible, merci pour ce premier atelier, et vivement les suivants, qui se dérouleront le vendredi 5 février, si le ciel ne nous tombe pas sur la tête, par Toutatis !
Edwige Lanères