Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

 
Le 5 mai 2021, la compagnie La têtue a joué le spectacle Lăutar au lycée du Haut-Barr, à Saverne, pour les élèves de 1èG2, de Terminale HLP, et leur professeure de Français, Edwige Lanères. 
 
 
Lison et Lucas, violonistes, conteur/conteuse, font partie de la compagnie Ambulans Théâtre, une troupe itinérante de musique, de théâtre et de danse.
Cliquez sur ce lien pour découvrir leur site : https://www.ambulanstheatre.org/
 
 
Depuis deux ans et demi, Ambulans parcourt l’Europe en roulottes tirées par des chevaux. Une douzaine d’artistes, musiciens, chanteuses, jongleuses, clowns, comédiennes, danseurs, se déplacent lentement, de villages en hameaux, choisissant toujours les plus petites routes. La compagnie s’arrête parfois, un jour ou deux, voire plus si elle est chaleureusement accueillie ; elle propose des concerts vocaux ou instrumentaux, des spectacles de mime, des bals folks, aux chanceux habitants qui croisent leur chemin.
Lucas et Lison, lui marin, elle clown, sont devenus des « lautari », des musiciens ambulants. Ensemble, ils racontent leur histoire, par bribes. Nous cousons mentalement ce patchwork d’impressions, de narrations et de directions, pour tracer un itinéraire.
 
 
 
Lison et Lucas devaient monter avec nous, via la forêt, jusqu’au château en ruine du Haut-Barr. Le vent et la pluie nous ont repoussés dans le réfectoire du lycée, mais les paroles, les chants et les musiques des artistes nous ont transportés bien loin, jusqu’en Afrique, en Bulgarie, en Roumanie…
 
 
Dans la cour du lycée, Lucas et Lison racontent :
« Sur son canapé. Devant sa porte d'entrée. Dans le métro. Les mains sur le volant.
Dans la cour de l'école. Au milieu d'un repas de famille. Tous et toutes à leur manière. Chacun, dans sa vie, a décidé de partir. D'arrêter le monde un instant pour en descendre.
Prendre le temps du temps, en quête de lenteur.
On avait lu dans les journaux : Cherche aventuriers aventurières de l'inconfort, défricheurs, défricheuses de l'instant présent, chercheurs et chercheuses de mouvements sans précipitation. »
 
Car tel est leur crédo : la lenteur.
Pour nous, élèves, professeurs pris dans une course folle contre la montre, dans une accumulation effrénée de délais toujours plus serrés, ce choix de la lenteur paraît littéralement… révolutionnaire. Ça décoiffe ! Comment ralentir la course immobile devant les ordinateurs ? La course aux notes, aux examens, aux statistiques ?
 
 
Lison et Lucas entonnent un chant appris en Bulgarie : « Asta viatsa de lautari », sur la vie des saltimbanques, celle qu’ils ont choisi de mener.
Postés au bas de l’escalier, le conteur, la conteuse désignent les quatre points cardinaux :
« NORD, SUD, EST, OUEST
Frontières : Nouvelles de la frontière Sud.
Après huit jours de navigation depuis Ibiza, nous atteignons enfin le port d'Oran en Algérie, où un ami d'ami nous attend. Mais bien sûr nous n'avons pas de visas. 
En cinq jours bloqués au port on aura parlé à quinze policiers, militaires et autres garde-côtes.
La frontière sud de l'Europe est sur les côtes de l'Afrique. Nous la vivons pour la première fois. »
 
 
Leur conte est un poème sur l’errance et sur la liberté. La leur. Car tous n’ont pas la chance de pouvoir partir : de jeunes Marocains rencontrés sur la côte leur expliquent qu’ils ont déjà essayé de traverser, en vain.
C’est étrange : nous prenons conscience que nous sommes libres. Notre statut, notre nationalité nous permettent de voyager, voire d’errer comme ces lautari, alors que tant de personnes sont forcées de rester sur place, faute d’argent, de passeport, de visa…
Voyage, errance et tourisme. Ce sont les trois concepts sur lesquels nos amis musiciens font réfléchir les élèves.
Le déplacement, d’abord, fût-ce simplement à travers une salle comme ce réfectoire. Guidé·es par les paroles de Lucas, nous marchons, accélérons, décélérons ; les élèves s’écoutent mutuellement, pour trouver un rythme commun… Puis ils et elles prennent des postures, stéréotypées ou non, liées au voyage et au tourisme, avant de proposer, à tout va, des mots, des idées. Qu’est-ce qui différencie le voyage de l’errance ? Et du tourisme ? 
 
 
 
    - Je préfère l’errance : elle ne suppose pas de préparatifs, déclare Louis.
    - Avec ma famille, nous faisons du tourisme en vacances, tandis que les voyages peuvent être liés au travail, précise Lola.
    - Pour moi, errer, c’est être perdu·e, désorienté·e.
    - Justement, c’est ça qui me plaît…
Ni Lucas ni Lison ne donne son point de vue ; ils lancent des réflexions qui continueront à cheminer, bien après leur départ, dans l’esprit de ces jeunes.
 
 
 
Un autre atelier permet aux adolescent·es, réparti·es en groupes, de créer un voyage, en respectant une contrainte tirée au sort : « avec un objectif commun » ou « sans argent », etc… Les jeunes s’envolent bien vite sur les ailes de la fiction, imaginant des situations rocambolesques, des solutions invraisemblables. Antoine se cache dans une valise pour partir en avion ; Louis crée une station sur la lune…
Un peu plus tard, dans le CDI, Lison invite les élèves à échanger entre eux, en groupes, sur le moment de leur vie où ils / elles ont eu l’impression d’être un étranger, une étrangère. Pour certains jeunes, c’est arrivé dans leur propre région ; pour d’autres dans des pays aux coutumes fort différentes des nôtres.
Plusieurs élèves habituellement réservé·es prennent la parole de façon loquace, aisée ; manifestement, ce cadre et ce thème les inspirent.
Autour d’un encas offert par le lycée, les langues se délient, entre les jeunes et les deux artistes ; les élèves sont fort curieux de connaître le mode de vie des musiciens ambulants.
 
 
 
    - Si vous étiez en roulotte, et vous en bateau, comment vous êtes-vous rencontrés ? s’enquiert Antoine, intrigué.
    - Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui aurait envie de partir ? demande Romane G.
    - Avez-vous des réserves d’eau, dans les roulottes ? intervient Louis H., pragmatique.
    - Nous trouvons de l’eau un peu partout, assure Lucas. 
    - Et pour l’argent ?
    - Nous en gagnons un peu en jouant de la musique sur les marchés, et plusieurs d’entre nous touchent le RSA. Et puis les marchands, les habitants nous donnent de la nourriture.
 
 
A la question de Yannis, employé en service civique, sur l’accueil réservé par les habitants des régions traversées, Lison et Lucas répondent que, si certains locaux se montrent méfiants de prime abord, dès qu’ils ont échangé quelques paroles avec les artistes sur leur tour de l’Europe, sur leurs roulottes et leurs chevaux, la troupe est généralement bien accueillie. Les villageois sont heureux de bénéficier d’un peu d’animation près de chez eux. La compagnie s’installe dans un champ ; elle place des lignes électrisées autour des chevaux pour éviter qu’ils ne s’échappent, et propose quelques spectacles. En échange, les artistes reçoivent un peu de sous dans le chapeau, des légumes, quelques vêtements… Et quand leur chemin les mène auprès de personnes qui connaissent des chants, des musiques, les artistes d’Ambulans collectent ces trésors. Ils et elles apprennent les morceaux ; ils et elles les copient (en phonétique si nécessaire), et entonnent à leur tour ces chansons sur la route et les marchés.
 
 
    - Parvenez-vous à rester en contact avec vos familles et vos amis malgré la distance, les voyages ? demande Mélanie.
   - Avec les amis, les liens peuvent se distendre, quel que soit notre mode de vie : quand nous faisons nos études, quand nous exerçons un métier… Mais pour la famille, oui, nous rentrons par moments. Et puis des parents, des frères, des sœurs viennent passer quelques jours avec nous. 
 
 
Eva est élève au conservatoire de musique de Strasbourg ; ce spectacle musical l’interpelle : « Depuis combien de temps jouez-vous du violon ? » demande-t-elle au couple. Lison a appris quand elle était petite, jusqu’à ses quatorze ans, puis elle a repris son instrument à vingt ans. Lucas s’exerce depuis six ans ; il progresse vite !
    - Quelle distance parcourez-vous en une journée ? voudrait savoir Gaëlle.
    - Nous marchons environ dix kilomètres par jour, trois à quatre jours par semaine. Nous optons de préférence pour les routes plates : c’est plus commode pour les chevaux, qui doivent tracter les roulottes.
    - Avez-vous une destination rêvée ? demande Arnaud.
    - Nous n’avons pas véritablement de destination, ni de date à respecter. 
 
 
Voir Lucas naviguer, au cours de son spectacle, le voir tenir la barre, lofer, virer, affaler, hisser, manier le compas (une sorte de boussole), auprès de Lison cahotée sur le chemin, maîtrisant Lili la jument, réparant l’essieu, soudant le banc, calmant Lili apeurée par les camions…
Voir et entendre ces deux oiseaux de passage donne le vertige aux sédentaires, a fortiori en période de confinement.
Certains élèves semblent un peu sonnés par cette rencontre bouleversante.
Longtemps après le départ de nos joyeux artistes, quelques jeunes me demandent où sont les « lautari », ce qu’ils et elles font.
Je raconte le débourrage des chevaux, la lenteur du départ, la scission provisoire de la troupe, afin d’habituer Gladys, Felda et Baboum, deux juments et un cheval, au bruit des roulottes, et à tout ce qui peut survenir sur la route.
Je raconte les étapes, les errances, les chants, la joie des villageois, leur générosité envers les saltimbanques. Et le feu du soir. Et le feu du matin. Le café collectif, les réunions, les petits concerts sur le marché, les envies parfois divergentes de danse, de musique ou de théâtre.
Lison et Lucas souhaitent partir en voilier, pour traverser l’Atlantique !
Maitilde, Loul et Léo s’éloigneront aussi quelques mois… La troupe maigrira cet hiver, puis se regonflera, certainement, à l’orée du printemps.
Bon vent, les lautari !
Et merci pour ces chants, ces musiques et ces contes !
Edwige Lanères
 
Bonus : le teaser du spectacle Lautar.          https://www.youtube.com/watch?v=_Hz-AZB1peI
 
… Merci également à Yannis Klein, pour les photographies du spectacle et de l’atelier théâtre !