Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

 
Photo 1 : Le groupe devant la Bibliothèque humaniste de Sélestat.
 
Le 18 juin 2021, les élèves de la spécialité HLP (première et terminale) ont eu le bonheur, entre leurs épreuves de bac en philosophie ou en français, et le grand oral à venir, à une merveilleuse journée dans la cité médiévale et humaniste de Sélestat, organisée par leur enseignante de philosophie Claire Le Van, avec en accompagnatrices Morgane Montembault, gestionnaire, Edwige Laneres, enseignante en Lettres, et Isabelle Gourmelon, documentaliste. Les élèves ont remonté les siècles pour se retrouver tout d’abord à l’époque de la Renaissance et découvrir ce qu’était alors l’éducation et l’érudition des lettrés, puis aux temps médiévaux, en pratiquant un atelier de calligraphie où ils ont appris à manier avec dextérité la « caroline » ou « l’écriture carolingienne », et ont ensuite eu la chance exceptionnelle de pouvoir découvrir un ouvrage authentique du 10ème siècle. Après la pause du déjeuner dans le salon Erasme de la bibliothèque, ils ont de plus bénéficié d’une visite guidée de la ville, fort stimulante, sur le thème de « Sélestat au Moyen-âge ».
 
Photo 2 : A l’intérieur de la Bibliothèque, une licorne de Saverne les attendait !
 
La bibliothèque humaniste contient des collections d’ouvrages anciens inestimables, dont les livres de l’humaniste Beatus Rhenanus, classés au patrimoine de l’UNESCO.
 
 
Photo 3 : Les livres anciens de la bibliothèque humaniste de Sélestat.
 
 
Photo 4 : Depuis 2011, la bibliothèque de Beatus Rhenanus est inscrite au registre UNESCO « Mémoire du monde ».
 
Chaleureusement accueillis par Cécilia et Marie, les élèves scindés en deux groupes ont tout d’abord bénéficié d’une découverte des collections du musée. Cette visite a été ponctuée par trois temps marquants : 1. Tout d’abord, les élèves ont bénéficié d’une présentation de certains livres anciens. Nos guides ont notamment insisté sur les différences qui existent entre le parchemin (support en peau de bêtes), le vélin (support en peau de veau), le papier-tissus (lin et chanvre ont été employés entre les 16ème et 18ème siècles) et le support papier (à l’aide d’une pâte à bois à partir du 19ème siècle). La bibliothèque est composée d’ouvrages manuscrit précieux (rédigés à la main), mais aussi d’incunables (les premiers livres imprimés produits depuis la Bible de Gutenberg, vers 1455, jusqu'à la fin de l'année 1500), ainsi que de livres imprimés de la Renaissance jusqu’au 19ème siècle. Certains ouvrages possèdent des enluminures, des illustrations, et/ou des titres écrits en couleurs, utilisant des pigments. Ils sont parfois annotés, et l’on peut repérer des imperfections, dont certaines sont dues à l’âge des livres, mais aussi à la volonté d’économiser le parchemin (support couteux, d’où les trous appelés « les yeux des livres »), mais aussi aux fautes commises par les copistes de l’époque. 
 
 
Photo 5 : Groupe 1 avec Cécilia devant les livres anciens.
 
2. Ensuite, les élèves ont pu découvrir le cahier d’écolier de Beatus Rhenanus, qu’il a écrit à l’âge de 13 ans, où l’on voit des textes classiques en latin recopiés par l’élève studieux, puis les nombreuses notes explicatives ou interprétatives (gloses) qu’il a rédigées avec une plume plus fine. Ce document est le reflet de la qualité et de l’exigence de la formation qui était donnée à l’époque aux enfants qui suivaient ce cursus de l’excellence fondé sur l’étude des textes des auteurs grecs et latins. 
 
 
Photo 6 : Le cahier d’écolier de Beatus Rhenanus.
 
 
Photo 7 : Le groupe 2 avec Marie devant le cahier d’écolier de Beatus Rhenanus.
 
Informations indiquées sur un panneau explicatif : « Beatus Rhenanus est né le 22 août 1485 à Sélestat sous le nom de Beat Bild. Ayant perdu sa mère à l’âge de deux ans, il est élevé par son père Anton Bild. Celui-ci est négociant en boucherie et participe aux institutions politiques sélestadiennes. Il dispose ainsi de ressources importantes qui permettent à son fils unique de réaliser de brillantes études. Beatus a environ six ans quand il entre à l’école latine de Sélestat. Renommée pour la modernité de son enseignement, elle prépare les élèves âgés de 6 à 12 ans aux études universitaires. Son professeur Crato Hoffmann applique une pédagogie innovante qui place l’étude des textes au cœur de l’apprentissage de la langue latine ». 
 
3. Pour finir ce parcours dans le musée, nos guides nous ont présenté des éléments  concernant la découverte du « nouveau monde » au moyen du premier ouvrage où le terme « America » apparaît, néologisme féminisé tiré du nom de l’explorateur Amerigo Vespucci, navigateur florentin, pour désigner le nouveau continent. A propos de « l'acte de baptême de l'Amérique », L'introduction à la Cosmographie de Ptolémée (Bibliothèque Humaniste de Sélestat, K 1181) fait référence.
 
Photo 8 : Dans l’Introduction à la Cosmographie de Ptolémée apparaît pour la première fois le terme « America », 1507.
 
 
Photo 9 : Les élèves observent cet ouvrage qui a fait date, ainsi que les instruments de l’époque.
 
Informations indiquées sur un panneau explicatif : « Résultat du travail acharné de savants, la réédition de la Cosmographie de Ptolémée modernise la vision du monde de la Renaissance. En 1506, des savants et des imprimeurs établis à Saint-Dié envisageant de publier une nouvelle édition de la Cosmographie de Ptolémée. Ce projet est lié à la redécouverte au 15ème siècle de l’œuvre de ce géographe antique (1er siècle après J. C.). En raison du travail important de correction du texte grec et de préparation de cartes, ces humanistes diffusent dans un premier temps l’Introduction à la Cosmographie en 1507. C’est dans cet ouvrage de présentation qu’apparaît pour la première fois le nom « Amérique » pour désigner le nouveau continent récemment découvert. Après six années de travail, la nouvelle édition de la Cosmographie de Ptolémée est publiée en 1513. Les cartes anciennes représentent le monde selon Ptolémée et sont compilées par des cartes actualisées grâce aux découvertes des explorateurs des 15ème et 16ème siècles. Imprimé de nouveaux en 1520, cet ouvrage de géographie enthousiasme la curiosité des érudits de la Renaissance ».
Après ce temps de découverte des collections permanentes, nos deux guides nous ont permis de vivre une expérience de calligraphie tout aussi récréative qu’instructive. Lors de cet atelier, il s’agissait tout d’abord de s’essayer à l’écriture carolingienne en faisant des lignes, en recopiant un extrait, puis d’illustrer un adage, une maxime ou une citation. 
 
 
Photo 10 : Cécilia nous montre les proportions des lettres carolingiennes.
 
 
Photo 11 : Le matériel requis pour écrire à l’époque.
 
Les élèves ont ainsi découvert ce qu’était le travail d’un moine copiste, et le temps ainsi que la concentration nécessaires pour exécuter ces tâches d’écriture (sans tâche d’encre !). Les jeunes et leurs accompagnatrices ont donc plongé dans un silence studieux, propre au travail d’écriture, générant une belle sérénité, bien loin de la cadence rapide des outils numériques ! Ecrire à la main éveille l’esprit et la créativité…
 
 
 
 
 
 
 
Photos 12 à 17 : Les élèves avec leurs enseignantes s’essayent à l’écriture carolingienne.
 
A nouveau en deux groupes, les élèves ont ensuite eu l’incroyable chance de pouvoir admirer un livre manuscrit du 10ème siècle, rédigé avec minutie en lettres carolingiennes. Ce manuscrit (MS 17) contient trois textes : - Mappae clavicula (un livre d’alchimie) ; - Cetus Faventinus, Artis architectonicae Liber (un livre d’architecture) ; - Vitruve, De architectura Libri X (idem.). C’est d’ailleurs du livre d‘alchimie qu’était tiré l’extrait recopié lors de l’atelier. 
 
 
Photo 18 : Nous avons l’immense privilège de pouvoir regarder un manuscrit du 10ème siècle.
 
Les débuts et les fins de chacun des livres qui composaient l’ouvrage présentaient la mention « incipit » et « excipit ». Les titres étaient rédigés dans un rouge qui, avec le temps, est devenu presque « fluo », ce qui lui confère une étonnante modernité. Le « réglage » (qui équivaut à des lignes tracées sur la peau du parchemin pour permettre un alignement régulier de l’écriture) était bien visible sur certaines pages demeurées vierges. Certaines pages, certainement illustrées, ont malheureusement été arrachées par des personnes mal intentionnées, faisant du trafic de livres anciens. « Les petites clefs » de l’ouvrage d’alchimie renvoyaient à des recettes, certaines étant réalistes, d’autres plus hermétiques. Quant aux traités d’architecture, ils étaient illustrés par de magnifiques dessins, notamment sur les trois ordres architecturaux antiques (dorique, ionique, corinthien). Enfin, nous avons pu constater qu’Apollinaire avec ses calligrammes n’a rien inventé.
 
 
Photo 19 : Les illustrations architecturales.
 
 
Photo 20 : Une mise en page digne des poètes modernes !
 
Nous avons tous été très émus à l’idée que ce livre manuscrit avait traversé 11 siècles pour que nous puissions l’admirer. Oui, nous sommes bien retournés à ce moment-là au temps des parchemins... 
 
 
Photo 21 : Une plongée dans un autre temps.
 
Enfin, après un pique-nique tiré du sac, pris dans le salon Erasme, nous avons bénéficié d’une passionnante visite guidée de la ville de Sélestat, dont l’emblème est le lion, animal symbolisant la puissance.
 
 
Photo 22 : Le lion : l’animal emblème de Sélestat, ville libre du Saint Empire.
 
Notre guide, Nadège, nous a entrainés dans un parcours palpitant commençant, en passant devant l’église romane et bénédictine de Sainte Foi, dans le quartier des tanneurs (artisans qui travaillent le cuir). Au-dessus des portes, on pouvait admirer un écusson avec le symbole représentant ce corps de métier. Ces confréries corporatistes définissaient les tarifs à pratiquer, les règles qui encadraient les pratiques de fabrication et de vente.
 
 
Photo 23 : Le quartier des tanneurs.
 
 
Photo 24 : L'écusson de la confrérie des tanneurs.
 
Notre guide nous a ensuite présenté la redoutable « tour des sorcières » qui a été construite au début du XIIIème siècle et qui faisait partie tout d’abord du mur d’enceinte, puis qui est devenue plus tard une prison où l’on persécutait celles à qui l’on reprochait d’être faussement des femmes maléfiques. Les condamnations pour sorcellerie furent nombreuses à Sélestat : « Entre 1629 et 1642, 91 personnes ont été condamnées au bûcher pour sorcellerie », indique notre guide. 
 
Extrait de l’article : « A Sélestat, les sorcières mal-aimées », 2018 : « À la fin du Moyen Âge, l’Église sort d’une phase très délicate. Et comme la période a été traversée par de multiples calamités, comme la peste ou la famine, il fallait trouver un bouc émissaire. Ce dernier est tout trouvé : si des gens meurent de faim ou à cause d’une maladie, c’est la faute du diable. Et comme on ne peut pas s’en prendre directement à lui, le peuple se retourne vers ses suppôts, les sorciers. (…) « Les personnes étaient brûlées vives si elles avaient renié jusqu’au bout leur pratique de la sorcellerie, détaille la chargée d’étude scientifique. Les juges faisaient une faveur à celles et ceux qui avouaient assez vite : ils étaient étranglés avant d’être brûlés, ou bien décapités ». Parmi ces condamnés à mort, il y avait des musiciens, car on les accusait de jouer lors des sabbats (assemblées nocturnes de sorcières, n.d.l.r.), mais aussi des enfants. Si ces treize années, de 1629 à 1642, ont été aussi meurtrières à Sélestat, elles ne constituent pas une exception en Alsace : « Entre 1629 et 1630, à Molsheim, il y a eu 70 personnes condamnées au bûcher, dont 30 enfants ». C’est d’ailleurs pour ça que la Tour des sorcières sélestadienne est loin d’être unique : on en trouve à Bergheim, Châtenois, Rouffach, etc. (…) C’est au XVIIème  siècle, et notamment durant la période de 1629 à 1642, que la tour s’est transformée en prison pour les personnes accusées de sorcellerie ».
 
 
Photo 25 : La tour des sorcières.
 
Après ces redoutables évocations, nous avons achevé notre périple dans la magnifique église gothique Saint Georges, lieu de paix, dont le cœur présente de somptueux vitraux. 
 
 
Photo 26 : L’église gothique Saint-Georges, édifiée par les corporations.
 
 
Photo 27 : Avec la chaleur suffocante, nous étions heureux de bénéficier de la fraîcheur du lieu, pour admirer les vitraux, ces BD médiévales relatant la vie des saints.
 
 
Photo 28 : Nous avons pu admirer le symbole du livre aux yeux ouverts de Sainte Odile, patronne de l’Alsace.
 
Cette promenade dans la cité médiévale de Sélestat nous a permis, malgré la chaleur, de rafraichir nos connaissances sur cette période à la fois fascinante, mais aussi effrayante en raison des superstitions qui généraient des persécutions. De Sélestat la bien nommée, nous retiendrons surtout qu’elle recèle, dans sa bibliothèque humaniste comme dans l’enceinte de sa cité et dans ses ruelles, des joyaux patrimoniaux inestimables. Merci à Cécilia, Marie, Nadège, pour leur accueil formidable. Merci à Morgane, Edwige et Isabelle pour leur disponibilité souriante. Merci aux élèves qui ont participé avec enthousiasme à cette sortie thématique. Promis, nous y retournerons l’an prochain !