Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

 
En novembre et décembre 2021, avec leur professeure de français Edwige Lanères, trois classes du lycée du Haut-Barr ont bénéficié d’ateliers théâtre animés par le metteur en scène Laurent Crovella, sur la pièce Gens du pays, que les élèves ont vue à l’Espace Rohan de Saverne.
 
D’où viens-tu ?
Cette question récurrente importune souvent. Pourquoi un être devrait-il nécessairement s’identifier à son origine géographique, ou à celle de sa famille ? Pourquoi la société, les forces de l’ordre, les « gens » obligent-ils chaque personne à décliner sa nationalité, ses « racines » ? Telle est la question qui taraude Marc-Antoine Cyr, l’auteur de la pièce Gens du pays. 
 
Marc-Antoine Cyr, l’auteur de la pièce Gens du pays, s’interroge sur l’injonction faite à chacun, et a fortiori aux personnes considérées comme « venant d’ailleurs », à décliner leurs origines.
 
Le metteur en scène Laurent Crovella s’est approprié ce questionnement avec ferveur ; il incite les jeunes à s’interroger à leur tour, à partir de la pièce.
Les élèves de 2de4, de 1èreG2 et de Terminale HLP (Humanités Littérature Philosophie) ont travaillé, par le corps, la mise en espace, le mouvement et la mise en voix, le texte poétique de M.A. Cyr.
 
 
La 2de4 connaît le vocabulaire scénique : côté cour, côté jardin…
 
 
En 1èG2, quelques rappels théoriques sont les bienvenus.
D’abord, un peu de théorie.
    - Mettons que je sois comédien, suggère Laurent Crovella. Vous êtes metteurs en scène, et vous me demandez de me diriger vers la gauche.
    - Allez à gauche, dit un élève.
Sans surprise, l’artiste part sur sa propre droite, qui correspond à la gauche des élèves. Les jeunes connaissaient la feinte, mise en jeu, en classe, par leur professeure. Ils et elles connaissent également la solution : 
    - Côté jardin ! propose Manon.
Et Laurent de se diriger vers la gauche de notre apprentie scénographe.
    - Et pour inviter l’acteur à se diriger devant, ou au milieu, ou au fond ?
    - A l’avant-scène, au théâtre et au lointain ! propose Perrine, comédienne amatrice.
    - Très bien. Passons à l’action. Un volontaire se lève, prévoit un mot et une émotion. L’élève part du lointain, avance au théâtre et prononce ce mot, cette phrase. Nous devrons deviner quelle était l’émotion transmise. 
 
 
« Ton corps dit l’inverse de tes paroles », explique le metteur en scène.
 
Quelques jeunes se succèdent, plus ou moins à l’aise, et tous, toutes constatent l’éloquence du langage non verbal. Quand Zoé affirme « Ça va ! » en maintenant sa posture prostrée, son corps dit l’inverse de ses paroles. C’est flagrant chez plusieurs élèves. Et cette prise de conscience permet de viser une meilleure disponibilité du corps, une respiration, une détente qui aideront certainement les jeunes pour leurs futures prestations orales.
    - De l’écoute de soi, passons à l’écoute de l’autre. Deux volontaires, s’il vous plaît.
Sarah et Mathis entament une drôle de danse, où la jeune fille doit se déplacer en symétrie centrale : quand Mathis part au lointain, Sarah vient à l’avant-scène. Quand son partenaire s’approche du « théâtre » (le centre), l’actrice s’en approche également. Les mouvements s’accélèrent, se fluidifient, c’est très esthétique ! Applaudissons !
 
 
La drôle de danse de Sarah et Mathis, en symétrie centrale.
 
    - Vous le voyez, le regard joue un rôle crucial dans l’entente mutuelle des acteurs et actrices. Levez-vous, déplacez-vous, et au top, regardez la personne la plus proche de vous, sans rire, et sans la quitter des yeux. En 1ère, Noé fixe Baptiste ; Damien soutient le regard de Louis ; Zoé celui de Melek. L’exercice est plus difficile qu’il n’y paraît : dès que le formateur perçoit un rire derrière un masque, le binôme est éliminé.
 
 
Quelques volontaires de 2de4 écoutent les explications de Laurent Crovella, pour l’exercice des regards.
 
 
Plusieurs élèves de 1èG2 jouent à soutenir le regard d’un·e camarade.
 
 
Ceux qui rient sont éliminés ! Même en Terminale…
 
    - Et sans la vue, êtes-vous encore capables de reconnaître vos camarades ? Laurent Crovella demande à un jeune de s’éloigner vers le fond, puis il désigne plusieurs élèves qui doivent s’approcher sans bruit et poser leur main sur l’épaule du premier.
 
 
Les comédiens amateurs de 2de4 reconnaissant leurs amis par le bruit de leurs pas, la hauteur de leur bras, la pression exercée par leur main…
 
 
Manon, élève de 1ère, écoute le metteur en scène : cette main est-elle chaude ? Froide ? La pression est-elle douce ? Ferme ? De quelle taille est la personne qui pose sa main sur ton épaule ?
 
 En 2de4, Mattéo peine à reconnaître, à l’ouïe et au toucher, ses amis Alexandre, Romain, Léandro, Arnaud et Lucas. En 1ère, il n'est guère plus aisé, pour Damien, de reconnaître les mains de Mayanne, Lili, Tissiana et Zoé. 
 
 
Zoé, Tissiana, Lili et Mayanne ont approché à pas de loup ; Damien peut-il reconnaître le bruit de leurs chaussures ? La pression de leur main ?
 
Enfin en Terminale, toute la troupe se dispute le dos d’Antoine ! Comment reconnaître tant de mains amies sans les voir ?
 
 
Antoine, élève de Terminale HLP, reconnaîtra-t-il les mains de ses amies ?
 
    - Sans vous concerter, formez un triangle, ordonne le maître du jeu. 
Après quelques ajustements, la figure géométrique prend forme.
    - Maintenant, en cercle.
En un clin d’œil, la ronde est faite.
    - Vous avez été bien plus rapides cette-fois-ci ! constate Laurent Crovella, pour chacune des trois classes. Qu’en déduisez-vous ?
    - Le cercle est plus facile à former, propose Julien.
    - Exact ; c’est la figure que nous adoptons généralement, car elle n’implique pas de hiérarchie ; chacun, chacune est responsable de la réussite collective.
 
 
Les 35 élèves de 2de4 forment un cercle en quelques secondes.
 
    - Pour nous transmettre de l’énergie, envoyons un « clap » en regardant notre voisin, ou notre voisine. Soyez rapides, réagissez vite, mais sans sacrifier la réception. Recevez le signe de votre camarade, avant de le faire suivre à une autre personne. 
 
 
Les élèves de 1èG2 affinent leurs réflexes et leur écoute collective.
 
 
Energie, rapidité, précision dans l’envoi du message, et dans sa réception ; Guillaume et ses camarades jouent le jeu.
 
Chaque élève aiguise sa réactivité, le jeu accélère ; nous nous écoutons mieux, et de façon plus fine, plus vive. Pari gagné !
Les sens en éveil, nous passons au texte : la scène d’exposition déploie une somptueuse poésie contemporaine, où les rôdeurs deviennent des loups, les agents des chasseurs, et la lune un gigantesque projecteur magnifiant les illusions.
 
 
Exercice de lecture à haute voix, en 2de4.
 
 
Mathias Bentahar incarne avec une authenticité remarquable le jeune Martin Martin, victime du « racisme ordinaire ».
 
Martin Martin, le jeune protagoniste, semble attiré par « les loups », ces adolescents qui hantent les abords de la cité, à la lisière de la forêt. La police guette. Un soir, pour une raison qu’il ignore, le garçon est mis en garde à vue, et interrogé de façon insistante par Lorie Lorie, une policière qui refuse de croire que ce jeune homme s’appelle « Martin Martin » : selon elle, la couleur de peau du suspect ne correspond pas à ce patronyme.
Cet interrogatoire se télescope, pour Martin, avec les cours de son professeur de Français, un extravagant qui pratique une sorte de « racisme inversé » -selon les mots de l’auteur-. 
Stupéfiant dans le rôle de ce professeur fou, Fabien Joubert bombe le torse en écartant les bras pour annoncer à ses élèves son « grand projet » : il s’agit, pour chaque jeune, d’apporter un objet en lien avec ses origines, et d’expliquer son choix. « Je viens d’ici, je vis ici, je suis d’ici, rétorque Martin. »
Jouant avec l’effet de cut up, le texte zappe d’un univers à l’autre : premièrement, la lisière, le no man’s land entre chien et loup, le soir, à la frontière des immeubles et des bois, du légal et du marginal. Deuxièmement, la classe de Français : un bric à brac de tables entremêlées. Troisièmement, le bureau de la policière, où se prolonge la garde à vue nocturne de l’enfant. Quatrièmement, enfin, l’appartement du couple formé par le professeur Kévin Kévin et la policière incrédule.
Chacun de ses lieux porte la trace de l’incommunicabilité. On s’entend, on ne s’écoute pas. Au sein du couple, c’est un véritable dialogue de sourds qui s’instaure, en écho avec l’interrogatoire subi par Martin. L’absence de communication est telle qu’elle confine au comique et à l’absurde.
 
 
Dialogue de sourds entre époux : Fabien Joubert interprète Kévin Kévin, et Blanche Giraud-Beauregard son épouse, Lorie Lorie.
 
Le 30 novembre 2021, à l’issue de la représentation, les élèves des trois classes applaudissent sans réserve : iels ont beaucoup apprécié le spectacle, le jeu des acteurs, les décors, la musique… Mais les élèves restent sur leur faim.
    - Qu’est-ce qui arrive ensuite ? demande Maxence, lors du « bord de plateau » où les artistes viennent dialoguer avec le public.
    - D’après toi ? répond Laurent. L’intrigue fait des nœuds ; ce sont les spectateurs qui les dénouent, explique-t-il.
    - Et les poissons, dans le bocal, ce sont des vrais ? s’inquiète Guillaume, ardent défenseur de la cause animale.
    - Le théâtre est un art de l’illusion ; ce que nous recherchons n’est pas tant le vrai que le vraisemblable. Tu as cru que ces poissons étaient des vrais ? Tant mieux. Mais ce sont des faux, le rassure Laurent Crovella.
À propos d’illusion, Merzuha s’enquiert des éventuelles erreurs commises par les comédiens et comédiennes : leur arrive-t-il d’avoir des trous de mémoire ? 
    - Oui, avoue Mathias Bentahar, interprète de Martin Martin. Il nous arrive à tous, par moments, d’avoir un oubli.
    - Et comment faites-vous ?
    - Nous nous entraidons ; l’un de nous reprend la réplique ; nous retombons sur nos pattes, et cela ne se voit pas, pour les spectateurs.
    - Exact, nous n’avons rien remarqué ! confirme une camarade.
    - Combien de temps vous faut-il, pour répéter une pièce comme celle-ci ? demande un élève du collège de Marmoutier.
    - Un mois environ. Les comédiens connaissent déjà leurs répliques quand ils viennent pour les premières répétitions, et tout se met en place sur le plateau.
    - L’auteur s’est-il inspiré du monde d’aujourd’hui ? s’enquiert Yousra.
    - Oui : il a travaillé avec des élèves d’un collège de Grenoble ; il est parti de leurs expériences, pour écrire la pièce.
 
Après la représentation, chaque classe procède à une « analyse chorale » de la mise en scène, telle qu’elle est enseignée par L’Ecole du spectateur. Il s’agit d’observer méthodiquement les divers aspects de la scénographie (salle, plateau, lumières, sons, costumes, déplacements, rythme, jeu…). Chaque élève a été sensible à différents signifiants -tel éclairage, telle gestuelle, telle musique- ; un échange fructueux sur ces choix nous permet de saisir l’interprétation que le metteur en scène propose pour cette pièce.
En 2de, ce spectacle sera mis en lien avec une œuvre d’Ionesco, qui porte également sur les discriminations, voire les abus de pouvoir et les dérives totalitaires : Rhinocéros.
En 1ère, les élèves travaillent sur les « stratagèmes » élaborés par le dramaturge et les personnages ; à cette occasion, ils et elles observent les stratégies artistiques mises en place par le scénographe pour capter l’attention, la réflexion et l’empathie des spectateurs et spectatrices.
La question de l’identité est également au cœur de l’enseignement de Terminale HLP, puisque le premier semestre est consacré au « moi » et à toutes ses déclinaisons. Le spectacle et les ateliers suscitent des réflexions aptes à nourrir certaines prestations du Grand Oral. Par-delà les programmes et les examens, il s’agit surtout d’aider les élèves à se construire en tant que citoyens, citoyennes portant des valeurs humanistes de tolérance et d’ouverture à l’autre. Cette pièce lutte contre le racisme ordinaire, en nous obligeant à adopter un autre point de vue.
Mille mercis à vous, les artistes, Laurent Crovella, Mathias Bentahar, Blanche Giraud-Beauregardt, Fabien Joubert, et merci à tout le personnel de l’Espace Rohan !
Belle tournée, pour ce très beau spectacle engagé !
Edwige Lanères