Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

 

 
T. HLP et 2de Pro devant la médiathèque André Malraux de Strasbourg, 
avec Evalie Starowicz, Edwige Lanères et Isabelle Gourmelon
 
 
Le 19 mai 2022, la classe de 2de Pro d’Evalie Starowicz, et le groupe de Terminale HLP d’Edwige Lanères, accompagnés de la documentaliste Isabelle Gourmelon, sont allés rencontrer des élèves de quatre autres lycées, lors du rassemblement annuel proposé par La Plume de Paon, dans la grande médiathèque André Malraux de Strasbourg.
Le concours d’audiolivres La Plume de Paon des lycéen·nes est un dispositif créé il y a une dizaine d’années par Cécile Palusinski, écrivaine, médiatrice, conseillère en mutation numérique et présidente de l’association Plume de paon. Elle propose aux classes de lycées une sélection de cinq audiolivres, deux ateliers de lecture à voix haute animés par une comédienne professionnelle, et une grande rencontre inter-lycées, en mai, dans la médiathèque André Malraux de Strasbourg.
 
Cécile Palusinski invite les jeunes à monter sur scène.
 
Au cours de cette année scolaire, au lycée du Haut-Barr, les jeunes des deux classes inscrites au dispositif ont écouté, de façon intégrale ou partielle, cinq audiolivres gracieusement offerts au CDI par cinq maisons d’édition différentes :
 
 
Les 5 audiolivres de la sélection La Plume de Paon 2022
 
-       Brèves de solitude, de Sylvie Germain lu par l’autrice, aux Editions des femmes ;
-        Les impatientes, de Djaïli Amadou Amal, lu par Léonie Simaga, aux éditions Lizzie ;
-        Ce qu’il faut de nuit de Laurent Petitmangin, lu par Pierre-François Garel, éditions Thélème ;
-        Toutes les familles heureuses de Hervé Le Tellier, lu par Thibault de Montalembert, éditions Audiolib
-        Il est des hommes qui se perdront toujours, de Rebecca Lighieri lu par Félix Moati, éditions Gallimard 
 
 
A deux reprises, les élèves de ces deux classes ont bénéficié d’ateliers de lecture à voix haute et de théâtre, par la talentueuse comédienne et professeure d’arts dramatiques Françoise Lervy.
« On lit avec tout son corps, explique-t-elle aux jeunes. 
Pour bien lire, réveillez vos pieds, vos chevilles, vos genoux, votre bassin, votre buste, vos épaules, vos bras, votre cou, vos oreilles, votre mâchoire, vos pommettes, votre front… »
 
 
Françoise Lervy montre aux élèves de T.HLP 
l’échauffement de l’appareil phonatoire.
 
Tout le groupe s’échauffe en suivant les gestes de l’actrice, un peu comme au début d’une séance d’EPS. Puis elle nous montre des exercices de diction et de projection vocale : « Ba ! Be ! Bi ! Bo ! Bu ! » « Pa ! Pe ! Pi ! Po ! Pu ! »  « Xza ! Xze ! Xzi ! Xzo Xzu ! » C’est amusant, mais il faut reconnaître que ces entraînements font prendre conscience de la formation des sons voyelles et consonnes, dans l’appareil phonatoire : la gorge, la langue, le palais, les dents, les lèvres, la cavité nasale. Cette drôle de machine forme des sons bien différenciés, et les jeunes s’appliquent à les articuler avec davantage de précision, pour devenir plus audibles, plus intelligibles auprès de leur auditoire. Cette préparation est la bienvenue, non seulement pour la rencontre inter-lycées de Plume de Paon, mais aussi, bien sûr, pour le Grand Oral !
Passons à la lecture. Les élèves des deux classes ont plébiscité l’autofiction de Djaïli Amadou Amal, Les Impatientes, lue par la comédienne Léonie Simaga.
 
 
Lecture à voix haute, en Terminale HLP.
 
« Chaque élève lit une phrase, dit l’actrice. A chaque virgule, tout le monde tape une fois dans ses mains, et à chaque point trois fois. » Cet exercice habitue nos apprenties lectrices à respecter la ponctuation, et à respirer en suivant le rythme du texte. Les élèves s’appliquent ; leurs voix énoncent de plus en plus nettement les consignes assénées par les pères, les oncles, aux jeunes filles mariées contre leur gré.
 
« Mon père, lui, est assis sur son canapé favori. Il sirote tranquillement un verre de thé parfumé au clou de girofle. Hayatou et Oumarou, mes oncles, sont également présents, entourés de quelques amis proches. Ces hommes sont censés nous transmettre leurs derniers conseils, nous énumérer nos futurs devoirs d’épouses, puis nous dire adieu – non sans nous avoir accordé leurs bénédictions ! 
 
Munyal, mes filles, car la patience est une vertu. 
 
Dieu aime les patientes, répète mon père, imperturbable. J’ai aujourd’hui achevé mon devoir de père envers vous. Je vous ai élevées, instruites, et je vous confie ce jour à des hommes responsables. Vous êtes à présent de grandes filles – des femmes plutôt ! Vous êtes désormais mariées et vous devez respect et considération à votre époux. »
Ce récit a marqué les esprits des lycéen·nes ; il fait écho à l’exposition visitée quelques mois auparavant, sur les féminicides : au tribunal de Sélestat, nous avions rencontré des magistrates et un artiste plasticien qui luttent contre les inégalités sexistes et les violences qui en découlent.
Un chassé-croisé entre la Terminale HLP de Mme Lanères et la 2de Pro de Mme Starowicz se joue à la récréation, permettant aux jeunes microtechnicien·nes de s’initier à leur tour à la lecture à voix haute.
 
 
Mise en scène des Impatientes, de Djaïli Amadou Amal, en 2de pro.
 
Très vite, Françoise Lervy passe à la mise en scène. Anastasia et Melyna jouent les héroïnes du roman : Ramla et sa sœur Hindou. Quant aux garçons, ils incarnent tous l’oncle Hayatou, qui serine, implacable, les devoirs des jeunes épouses envers le mari qu’on leur impose.
« Munyal, mes filles, dit mon oncle Hayatou. Puis il marque une pause, se racle la gorge avant d’énumérer d’un ton grave : 
 
Respectez vos cinq prières quotidiennes. 
 
Lisez le Coran, afin que votre descendance soit bénie. 
 
Craignez votre dieu. 
 
Soyez soumises à votre époux. »
 
Vers la fin de la séance, les filles ont voulu échanger leurs rôles avec celui des garçons. Elles ont endossé celui de l’oncle qui sermonne, tandis que leurs camarades ont incarné les jeunes filles atterrées par les injonctions à devenir des épouses et des mères « esclaves ».
 
 
Echange des rôles filles – garçons, en 2de pro, pour jouer Les Impatientes.
 
En classe, les élèves comparent les cinq audiolivres. Nous écoutons des extraits, d’abord pour le plaisir, comme les enfants écoutent, le soir, une histoire racontée par leurs parents.
 
Puis nous passons à une lecture auditive plus attentive aux qualités de la lecture proposée, à la fluidité et la variété du débit, aux intonations qui soulignent le sens du texte, aux incarnations des personnages… Les élèves qui ont tenté cet art de la lecture à voix haute saisissent mieux l’ensemble des paramètres à réunir pour captiver l’auditoire, et maintenir son intérêt. Peu à peu, les apprenti·es lectrices et lecteurs affinent leur écoute. La voix de Félix Moati, l’un des comédiens, est plébiscitée, car elle est plutôt jeune, avec du grain dans les graves. Elle correspond bien à l’idée que nous pourrions nous faire du narrateur du roman Il est des hommes qui se perdront toujours : le héros raconte sa jeunesse à la première personne ; or sa vie fut si malmenée qu’une voix trop claire aurait sonné faux. Moati laisse parfois les voyelles traîner, comme pour exprimer une lassitude, comme s’il avait perdu le goût de vivre. Dans les passages au discours direct, il élude les liaisons et les « -e » : « J’me d’mande… » ; sa voix devient un peu plus aiguë, et ces changements relancent notre attention. Son débit soutenu est compensé par de vraies pauses de ponctuation ; nous le suivons aisément. Enfin sa lecture s’apparente à un vrai travail de comédien, car elle fait entendre les émotions et les réflexions du protagoniste. Il prend une voix hésitante, puis songeuse pour expliquer à l’hypnothérapeute « Une sorte d’urne funéraire […] Il y a des fleurs dedans… enfin… pas exactement des fleurs. Des fleurs, mais, dont on aurait coupé la tête. Il ne reste que les tiges. Trois. Trois fleurs décapitées. » Puis il reprend sa voix grave de narrateur pour offrir sa propre analyse : « Nous étions trois à avoir été décapités dès l’enfance. Trois à qui on avait refusé tout épanouissement, et toute floraison. »
 
 
Finalement, analyser les intonations d’une excellente lecture, c’est analyser le sens du texte.
 
Plus exactement : la lecture nous propose une interprétation du texte. Et lorsque nous prêtons une oreille attentive aux choix de la lectrice ou du lecteur, nous nous penchons sur les messages proposés par l’œuvre, et sur leur esthétique.
Plus les élèves saisissent les qualités d’une lecture orale (débit, phrasé, inflexions…) en lien avec un écrit, plus iels affinent leur compréhension, et leurs capacités à porter, à leur tour, un texte, ou un discours.
C’est justement ce qui les attend, pour la rencontre Plume de Paon : lire en public des extraits de leur œuvre préférée, et défendre ce livre audio en prononçant des discours convaincants.
En route pour Strasbourg ! Le bus arrive avec un peu de retard ? Qu’à cela ne tienne ; le soleil brille, les élèves ont apporté leur petite saynète argumentative ; iels la répètent sur le parvis du lycée.
 
 
En T.HLP, Mme Gourmelon, documentaliste, lit les répliques d’une élève absente.
 
Enfin nous voici au bord du canal du Rhône au Rhin, sur la presqu’île André Malraux, devant la haute médiathèque éponyme, pile entre façade et reflet. 
 
 
Evalie Starowicz avec les élèves de 2de pro et de T. HLP, 
quai des Alpes, à Strasbourg.
 
 
Près de 300 000 documents peuvent être empruntés ici, 
à la médiathèque André Malraux. 
 
Les jeunes découvrent cette vaste médiathèque, où iels auront peut-être l’occasion de revenir au cours de leurs études : avec ses vingt kilomètres de rayonnages, elle est la plus grande bibliothèque de l’Est de la France. L’idéal pour mener des recherches fructueuses !
Pour lors, c’est dans la salle de conférence que nous retrouvons Cécile Palusinski, assistée d’un ingénieur du son en cabine, et d’une artiste plasticienne, Elsa Mroziewicz. Toutes les classes qui ont convergé vers la presqu’île prennent place, et très vite, des volontaires montent sur scène pour défendre leurs audiolivres préférés.
 
 
Nicolas et Valentin, élèves de 2de pro MIC, débattent sur 
Les impatientes et Ce qu’il faut de nuit.
 
La Seconde Professionnelle Microtechniques a beaucoup aimé deux audiolivres : le roman de Djaïli Amaou Amal, Les impatientes, lu par Léonie Simaga, et celui de Laurent Petitmangin, Ce qu’il faut de nuit, porté par la voix claire et grave de Pierre-François Garel. Deux élèves, Valentin et Nicolas, montent courageusement sur scène, pour argumenter en faveur de ces deux œuvres. Ce ne sont pas uniquement les lectures orales qui ont emporté leur adhésion ; ce sont les textes eux-mêmes. Les deux récits appuient là où ça fait mal, et tous deux frappent par leur sincérité. Ils disent vrai ; on sent bien que l’autrice des Impatientes et l’auteur de Ce qu’il faut de nuit ont connu ces milieux, ces souffrances, ces non-dits qui blessent. Les deux histoires sont inspirées de la jeunesse des écrivain·es. Laurent Petitmangin est issu d’une famille de cheminots, en Lorraine, comme les protagonistes de son roman. Djaïli Amadou Amal vient du Cameroun, où elle a subi les affres des mariages imposés et d’un patriarcat tout puissant. Pour ces deux œuvres, le conteur, la conteuse ont su trouver la voix juste, les inflexions vraies.  
 
 
La Terminale HLP interprète un dialogue sur la lecture proposée 
par la comédienne Léonie Simaga pour Les impatientes.
 
**************************************************************
Les impatientes
 
Introduction (exorde)
 
    1- Voix, débit, élocution
    2- émotions
    3- compréhension
    4- personnages
    5- mots étrangers
    6- musique
 
Conclusion (péroraison)

Lectrice : Léonie Simaga

 
Auxane : « Munyal, mes filles ». 
 
Antoine : Patience, munyal, munyal, soyez patientes.
 
Clara : Telle est la ritournelle scandée tout au long du récit de Djaili Amadou Amal, Les IM-PATIENTES, justement.
 
Camille : Tout au long de l’audiolivre, nous écoutons la voix tantôt résignée, tantôt indignée, tantôt ironique de la lectrice, Léonie Simaga.
 
Mélanie : Ce livre est fait pour être lu par les oreilles. Il nous parle de l’autrice, Djaili Amadou Amal, et de ses trois vies, représentées sous les traits de trois personnages : Ramla, Hindou et Safira.
 
Laure : Ce livre est fait pour être écouté, afin d’entendre toutes les voix du conte. 
 
Florentine : La voix de Ramla, jeune fille qui devient malgré elle la seconde épouse d’un riche commerçant. 
 
Eva : La voix d’Hindou, sa sœur, battue et violée quotidiennement par un mari débauché.
 
Mathilde : La voix de Safira, première épouse qui voit d’un mauvais œil son mari lui imposer une rivale : Ramla.
 
Tess : L’autrice, Djaïli Amadou Amal, a vécu toutes ces vies.
 
Antoine : La lectrice, Léonie Simaga, comédienne au théâtre et au cinéma, revêt toutes ces peaux, et transmet les émotions du texte avec une sensibilité contagieuse.
 
Clara (à ses camarades, d’une voix forte) : Pourquoi avez-vous tant aimé cet audiolivre ?
 
Eva : Pour la voix de la conteuse !
 
Tess : Pour les émotions qu’elle transmet.
 
Florentine : Parce qu’elle m’aide à comprendre le texte.
 
Camille : Elle incarne chaque personnage avec un timbre différent, c’est une vraie performance !
 
Mélanie : Elle prononce parfaitement les mots arabes et peuls.
 
Laure : J’aime les incrustations musicales entre les chapitres.
 
***** 
1-  VOIX, DEBIT, ELOCUTION
 
Clara (à Eva) : La voix de la conteuse…
 
Eva (au public) : Oui. C’est une soprane à la voix claire et souple, à peine voilée. Son timbre est agréable, je ne m’en lasse pas.
 
Clara (à Eva) : C’est vrai : on entre dans le rythme du conte, et on se laisse entraîner…
 
Eva (au public) : Un peu comme sur un cours d’eau parcouru de vaguelettes. Le débit de Léonie Simaga est assez vif, mais comme elle marque fréquemment de brèves pauses, on la suit aisément.
 
Antoine (sentencieux pour rire, faux pédant) : Et l’élocution, Mesdames ! L’é-lo-cu-tion !
 
Laure (moqueuse, imite Antoine) : L’articulation, Monsieur ! L’ar-ti-cu-la-tion !
 
Auxane : Munyal, les amis, munyal… Patience ! En écoutant attentivement la lectrice, et avec un peu d’entraînement, nous saurons « ar-ti-cu-ler » aussi bien qu’elle, placer correctement les attaques des phrases, prononcer les consonnes avec autant de netteté et de précision, pour que tout devienne limpide. Munyal…
 
*****
2-  EMOTIONS
 
Tess : Aaaaaah… ce mot me donne des frissons, tant il est synonyme de soumission, dans ce livre, et dans la vie de ces femmes. Quelle horreur !
 
Clara : La voix de la conteuse vibre d’indignation, on perçoit son empathie avec le texte, qu’elle incarne véritablement.
 
Tess : Dès l’incipit, les émotions déferlent sur nous, quand on écoute le livre. J’ai eu le cœur serré pour ces filles de mon âge, mariées de force par les oncles, les tantes, les parents. Je partageais le désespoir de Ramla, d’Hindou, et aussi leur sentiment de révolte. Quand je lis avec les yeux, il m’arrive également d’être émue, mais lorsque je lis par les oreilles, lorsqu’une excellente conteuse me fait entendre sa propre indignation, alors mes émotions sont démultipliées, comme un son dans une caisse de résonnance.
 
Clara : Oui, Ramla semble au bord des larmes, lors de cette cérémonie fastueuse où les filles sont vendues comme du bétail de luxe.
 
Mathilde : Et la peur ! Souvenez-vous, au début de la deuxième partie : Moubarak s’apprête à agresser sa cousine Hindou, lors de la nuit de noces. Dans la voix de la lectrice, on entend la terreur de la victime. On sait qu’elle n’échappera pas au pire, puisque tout est ligué contre elle. La société toute entière lui impose ce mari violent, drogué au Tramadol et au Viagra. On entend, dans les inflexions de l’aède, le sacrifice imminent.
 
Laure : J’ai détesté ce moment. Et la suite de cette partie. Tout ce qui arrive à Hindou est atroce. En plus, avec cette voix fluette, on sent la fragilité de la jeune fille, et sa détresse. J’en ai fait des cauchemars. Pas vous ?
 
(Les autres hochent la tête en signe d’approbation.)
 
*****
3-  COMPREHENSION
 
Florentine : L’indignation, le dégoût, la peur, tout ce que nous ressentons en écoutant le récit, je crois que c’est le message-même du texte. Emotion et réflexion ne font qu’un, dans cette œuvre. Je crois que c’est pour cela que la lecture audio m’a si bien aidée à comprendre le livre.
 
Antoine : Bien vu ! enfin… Bien entendu !  Djaïli Amadou Amal n’a pas rédigé un traité ou un essai philosophique sur les mariages forcés dans les régions rurales de l’Afrique Subsaharienne. Elle a simplement raconté sa vie, en la transposant chez trois personnages. Et ce qu’elle raconte est si révoltant que le message coule de source…
 
Clara : Il coule dans les inflexions de la lectrice, fruits d’un travail que l’on ne soupçonne même pas.
 
Florentine : Léonie Simaga change très clairement d’intonation quand elle passe du récit au discours, et inversement.
 
Eva : Elle va même plus loin : dans les passages en discours indirect libre, elle fait entendre les pensées du personnage, tout en maintenant une sorte de distance, puisque ce ne sont pas des paroles énoncées à haute voix, dans le texte. 
 
Camille : C’est subtil…
 
Florentine : Oui ; c’est pour cela que la version audio nous aide à comprendre l’œuvre. Un peu comme si la lectrice avait défriché le terrain pour nous. Comme si elle avait fait son explication de texte au préalable, afin de nous livrer une lecture pleine de sens. 
 
Mélanie : Tu as raison ; je me souviens du passage où la narratrice rapporte en discours indirect libre les paroles des amies de Ramla, qui vantent les mérites du mariage. Dans l’intonation de la lectrice, il est clair que la lycéenne désapprouve leur enthousiasme et leur empressement à se charger de chaînes qu’elles traîneront jusqu’à leur mort.
 
Laure : Ce qui m’a frappée, c’est l’ironie que l’on perçoit dans les inflexions de la conteuse. Je ne suis pas sûre qu’en lisant l’œuvre uniquement en version papier, j’aurais perçu aussi finement tous ces moments où la narratrice -que ce soit Ramla, Hindou ou Safira- dit l’inverse de ce qu’elle pense, afin de nous transmettre l’amertume qu’elle ressent.
 
Auxane (incarnant l’oncle Hayatou, très sérieuse, et faisant un geste du plat de la main vers une camarade différente, à chaque phrase) :  
« Soyez soumises à votre époux. 
Epargnez votre esprit de la diversion. 
Soyez pour lui une esclave, et il vous sera captif. 
Soyez pour lui la terre, et il sera votre ciel. 
Soyez pour lui un champ, et il sera votre pluie. 
Soyez pour lui un lit, et il sera votre case. »
 
Tess :  Ça me donne la nausée…
 
Mathilde : Dans ce passage, la lectrice n’est pas ironique, elle parle comme un maître autoritaire, une sorte de prophète qui aurait tous les droits, tous les pouvoirs, y compris celui de sacrifier les jeunes filles.
 
Clara : Oui, souvent le message est explicite, et les intonations de la lectrice deviennent tranchantes. Elle insiste sur les adjectifs, surtout quand ils sont en fin de proposition ; elle évoque ainsi « un duel feutré où l’on devine une hypocrisie mielleuse » (partie I, piste 2). 
 
Antoine : La conteuse nous les fait vivre intensément, ces fameux duels. Elle s’appuie sur le rythme binaire des phrases ; les duos de verbes, de propositions, d’adjectifs, de pronoms créent des jeux de miroirs que l’on entend dans sa voix. Elle souligne ces échos par ses intonations ascendantes puis descendantes, un peu comme des ‟questions” et des ‟réponses” : lorsque la première épouse, Safira, observe la seconde, Ramla,
« deux camps se toisent, se scrutent » ; 
« ses yeux m’inspectent et me transpercent
nos yeux se croisent, et la haine que je lis dans les siens me fait baisser  les miens. »
 
Florentine : Dans ces moments-là, quand la critique apparaît non voilée, Léonie Simaga prend un ton très dur, comme si elle vivait réellement ces injustices.
 
Eva : C’est très net dans les propositions relatives où l’autrice exprime son désaccord, sa révolte contre le joug qu’on lui a imposé. La lectrice fait précéder ces relatives d’une mini pause qui souligne le fossé entre la volonté de ses oppresseurs et la sienne.  
(Eva incarne Ramla, indignée) : « me rendre agréable à cet époux – dont je ne veux pas, et me protéger de cette coépouse – qu’on m’impose » (piste 7)
 
*****
4 –  PERSONNAGES incarnés
 
Camille : Ramla, c’est la première héroïne du récit. La voix de la lectrice lui donne corps. Quand j’écoutais le livre, j’avais l’impression que Ramla était là, avec sa rage, son envie de vivre avec son fiancé, plutôt qu’avec l’époux qu’on l’oblige à accepter alors qu’elle ne l’aime pas. La conteuse lui prête une façon de parler plutôt dure, déterminée, presque vindicative.
 
Mélanie : Alors que sa sœur, Hindou, a une voix plus timide, craintive.
 
Antoine : On la comprend, avec ce qu’elle subit.
 
Tess : Et la troisième, Safira, a l’air un peu plus âgée, même si sa voix reste assez aiguë. Elle a des intonations tantôt résignées, tantôt amères.
 
Camille : Vous voyez ! Vous aussi, vous avez eu l’impression d’entendre trois femmes différentes, alors que c’est la même lectrice qui incarne les trois.
 
Mathilde : Elle prenait aussi une voix rauque, pour faire parler les tantes et les mères.
 
Clara : Et des inflexions sévères pour nous donner à entendre les pères, les oncles qui sermonnent leurs filles et leurs femmes. 
 
Auxane : Vous avez entendu le ton sentencieux que prennent ceux qui cherchent à faire ployer la volonté des jeunes filles ou des femmes ? (Parodiant l’attitude d’un prophète.) « Munyal, telle est la seule valeur du mariage et de la vie », « Munyal, mes filles, car la patience est une vertu. ».
 
Mathilde : Même les femmes deviennent complices de l’asservissement de leurs filles et de leurs nièces. Je me souviens de la voix de la mère de Ramla, une voix déjà usée, qui s’efforce de paraître fière et autoritaire pour annoncer à sa fille, réveillée en pleine nuit, que celle-ci épousera un homme déjà marié, riche et important, plutôt qu’Aminou, son jeune promis.
 
Camille : J’imagine qu’il faut un sacré entraînement, pour parvenir à modifier ainsi sa voix, et à tenir toutes ces lignes différentes, avec tant de nuances, comme des portées sur une partition, tout au long du récit !
 
*****
5 –  MOTS ETRANGERS
 
Mélanie : Et sur cette partition, il y a des accents à respecter. Tu saurais prononcer correctement les mots « Ramla » (en roulant le r), « la baraka » ( = la chance), « Baaba » « Moubarak » « daada saaré » (I,2), djidéré saaré », « Maroua » (au Nord du Cameroun) « zaolerou » (I,3), « poulahakou »,  « la gandoura », « peul », « al hamdoulillah » ? Et il y en a encore bien d’autres ! Les conteurs, les conteuses doivent préparer leur lecture soigneusement à l’avance, pour éviter les écueils.
 
Eva : Quand j’entendais ces mots prononcés ainsi, cela me transportait instantanément là-bas, au Cameroun, alors que les mots écrits, silencieux, n’ont pas le même effet sur moi : je ne suis pas capable de les prononcer comme le fait la comédienne. En les disant ainsi, elle accroit le pouvoir qu’a le texte, de nous transporter ailleurs. 
 
*****
6 –  MUSIQUE
 
Laure : La musique de la langue nous emmène là-bas. Et la musique des instruments aussi ! Je me demande quels étaient les instruments que l’on entendait au début des chapitres.
 
Eva : J’ai entendu une kora et peut-être un oud (un hoddu, en peul) : une sorte de luth. Des percussions lambda, type tamas ou djembés, et un udu : un vase percé sur le flan ; j’ai bien reconnu le son ondoyant qu’il produit.
 
Laure :  Quelle oreille ! Je n’aurais pas su nommer ces instruments, mais j’adorais les écouter. Quand je reprenais ma lecture après une journée de cours, ces musiques me replongeaient dans l’univers du récit.
 
Eva : Moi aussi ! Et parfois j’avais l’impression que certains airs annonçaient la tonalité du chapitre.
 
Laure :  Va savoir… Il faudrait demander à l’éditrice…
*****
Auxane : En somme, vous avez aimé ces histoires abominables ?
 
Antoine : Ces récits sont terribles, c’est vrai, mais en les contant, l’autrice et la conteuse luttent contre ces injustices. 
 
Mathilde : Le talent de Léonie Simaga souligne la force du texte.
 
Tess : J’ai pleuré, j’avais le cœur serré, en écoutant ces crimes perpétrés contre les jeunes filles. Encore maintenant, je me sens indignée, en colère contre les mariages forcés, l’enseignement interdit aux filles, la soumission toujours imposée aux femmes et à leur corps, partout dans le monde. 
 
Florentine : J’aimerais remercier la comédienne, Léonie Simaga, qui m’a offert le texte sur un plateau d’argent, par la précision de sa diction, la force des intonations et l’intelligence, la sensibilité de ses interprétations.
 
Camille : Moi, je la remercierais aussi d’avoir invité tout ce beau monde chez moi : quand j’écoutais le livre, je ne me sentais plus seule!
 
Mélanie : J’imagine que l’autrice, Djaili Amadou Amal, a déjà remercié la conteuse : cette lectrice rend justice au texte et le fait vibrer comme le faisaient les conteurs d’autrefois, pendant les veillées.
 
Laure : Et comme autrefois peut-être, la voix de l’aède s’accompagnait d’une musique traditionnelle.  ♪♫
 
Eva : Vous croyez que cet audiolivre remportera la Plume de paon 2022 ?
 
Auxane : Ne soyez pas si pressées de connaître le résultat… Prenez patience… Munyal, mes filles, munyaaaaal…
 
 
     **************************************************************
 
La prestation des élèves est chaleureusement applaudie ; Cécile Palusinski propose de transmettre le texte à l’autrice, Dajïli Amadou Amal, ainsi qu’à la comédienne lectrice, Léonie Simaga. Quelle chance !
 
 
Flavio Cicu-Acconcia argumente en faveur des Brèves de solitude
un audiolivre créé par les Editions des femmes
 
A son tour, un brillant orateur, le jeune Flavio Cicu-Acconcia, élève au lycée Pasteur de Strasbourg, a pris la parole pour défendre, cette fois, les Brèves de solitude, de Sylvie Germain, lues par l’autrice. Davantage habitué à la lecture visuelle, il a néanmoins apprécié d’entendre l’interprétation de l’écrivaine : sa voix créait une forme de proximité entre elle, le texte, et l’auditeur -ou l’auditrice-.
Arnelle, une camarade de Flavio, a aimé, elle aussi, écouter Sylvie Germain raconter la solitude des êtres, pendant la période de confinement liée à la crise sanitaire du covid.
De façon générale, les élèves de toutes les classes ont apprécié la lecture auditive. Ils et elles ont compris qu’elle ne s’opposait en rien à une lecture silencieuse, au contraire, les deux formes de réception peuvent être complémentaires.
 
*****
La salle s’agite un peu : on se tourne, on murmure : « C’est elle, c’est Sylvie Germain. »
L’écrivaine arrive discrètement, aussitôt rejointe par une jeune femme non moins pétillante, Auriane Cabot, responsable markéting chez Audiolib.
Lorsque Flavio souligne le problème du genre poétique, parfois impossible à transcrire fidèlement à l’oral, l’écrivaine abonde dans son sens : comment faire entendre les calligrammes d’Apollinaire, ou les graphies, les mises en page créatives de certains poèmes ?
Elle émet également des doutes sur les interprétations de récits en prose qui peuvent être proposées par les comédiens-lecteurs, car, dit-elle, certains d’entre eux ne lisent pas l’œuvre avant d’entrer dans le studio d’enregistrement.
 
 
En 2015, Pierre-François Garel 
expliquait qu’il ne lisait pas les œuvres avant l’enregistrement.
 
Edwige Lanères se souvient en souriant d’un comédien de grand talent, Pierre-François Garel, qui était venu ici même, en 2015, car l’un des audiolivres qu’il avait lus était en lice : Elle marchait sur un fil, de Philippe Delerme. Arrivé après les autres comédiens, nonchalant, l’acteur avait surpris tout le monde par la beauté de sa voix, et plus encore par la désinvolture avec laquelle il avait affirmé ne jamais lire les œuvres avant de les enregistrer, alors que les autres comédiens opéraient tout un travail de repérage en amont. Garel avait découvert le livre au fil de son enregistrement, il avait détesté la protagoniste, et l’avait exécutée par son intonation, en faisant de sa mort un suicide.
Cette année, l’acteur lit Ce qu’il faut de nuit ; il n’est pas là pour en parler, mais en l’écoutant incarner le père de Fus – le personnage principal-, on devine qu’il a apprécié ce récit : ici l’acteur ne tue personne ; l’auteur s’en est chargé.
La discussion entre les élèves se poursuit, le micro passe de main en main.
« - Ce que j’apprécie, avec les audiolivres, dit une élève, c’est que l’on est immergé dans le récit, dès les premières phrases.
   - Oui, et l’on ressent très fort les émotions, grâce aux intonations de la lectrice ou du lecteur, renchérit un camarade. »
 
 
Antoine exprime son avis sur ses expériences de lectures auditives.
 
    - C’est vrai, acquiesce la présidente de l’association. Avez-vous déjà écouté des bandes dessinées ?
    - Mais la force d’une BD, ce sont les images, avance Sylvie Germain.
   - Justement, les ingénieurs du son, qui assument également les fonctions de directeurs artistiques, se posent de nombreuses questions pour trouver des moyens de restituer des graphies, des images : incrustations de virgules sonores, changement de son. Les enregistrements des BD Astérix obtiennent un beau succès ! C’est tellement drôle !
    -  Ce succès est dû aussi à la valeur patrimoniale d’Astérix, précise Elsa Mroziewicz, illustratrice. Les adultes connaissent cet humour depuis des décennies ; les adolescents et les enfants le partagent à leur tour. Quand on écoute ces BD, on a en tête les images ; leur notoriété dépasse les frontières. Astérix est connu dans le monde entier.
    -  Certains textes passent mieux que d’autres, à l’oral, reconnaît Cécile. Pensez-vous que vous auriez écrit vos brèves autrement, si vous aviez su qu’elles seraient lues à voix haute ? demande-t-elle à Sylvie Germain.
    -  Il y aurait sans doute des ‟repentirs”, comme il y en a sur les tableaux de Degas ou de tous les peintres.
 
 
Sylvie Germain expose son point de vue sur la lecture auditive.
 
    - Était-ce une volonté de votre part, d’enregistrer une lecture orale de votre œuvre ? s’enquiert Mme Palusinski.
    - Non ; ce sont les Editions des femmes qui me l’ont proposé. Elles sont pionnières dans le secteur des audiolivres.
    - Diriez-vous que cette oralisation est l’épreuve ultime du texte, comme Flaubert, qui lisait à voix haute ses œuvres dans son gueuloir ?
    - Non, moi je ne ferais jamais cela, rétorque l’écrivaine ; mon gueuloir est dans ma tête.
    - La lecture orale et la lecture silencieuse touchent deux publics différents, intervient Flavio. Une personne qui écoute Proust n’a pas la même volonté qu’une personne qui le lit avec les yeux.
   - La lecture auditive me demande une concentration accrue, reconnaît Auriane Cabot, qui représente ici les éditions Audiolib. Quand je lis un livre papier, si mes pensées, à un moment, se mettent à divaguer, je peux toujours relire la page, mais pour l’instant, avec les supports auditifs actuels, je ne peux pas facilement en faire autant pour une lecture par les oreilles.
    - C’est en cours d’amélioration, précise Cécile ; vos collègues expérimentent des supports plus maniables, qui permettent de prendre des notes sur des passages entendus, d’insérer des marque-pages, et de se déplacer dans l’œuvre sans être forcé de revenir au début de la piste ou du chapitre.
    - Oui, les recherches vont en ce sens.
   - Et puis, il y a la question de l’interprétation, comme au théâtre. Si vous écoutez une œuvre classique lue par deux lecteurs ou lectrices différentes, vous entendrez deux interprétations dissemblables, comme deux analyses de textes. La romancière Carole Martinez disait qu’elle devenait une petite souris, quand autrui lisait ses textes.
    - Oui, confirme Sylvie Germain : l’écriture, c’est très intime. Entendre quelqu’un lire notre texte, c’est se dévoiler ; cette expérience est presque obscène.
A aucun moment, au cours de la discussion, la question des personnes malvoyantes n’est abordée. La lecture orale touche tant les artistes et le public, que l’on ne songe plus aux personnes pour qui, sans les voix, les textes ne seraient quasiment pas accessibles. Très peu d’œuvres sont éditées en braille. La lecture auditive reste la seule porte d’accès vers la plupart des livres. Il existe des logiciels avec des voix de synthèse qui transposent à l’oral les textes écrits, mais c’est une lecture froide, mécanique.
    - Connaissez-vous la lecture recto-tono ? demande Sylvie Germain, autrice d’un mémoire sur l’ascèse dans la mystique chrétienne. Autrefois, dans les abbayes, pendant les repas, un prêtre ou une sœur lisait un texte -liturgique ou profane- de façon monotone, c’est-à-dire sur un seul ton, sans mettre d’intonations, afin de laisser les auditeurs interpréter cet écrit. Cela existe encore. C’est une mise à plat de la lecture.
Un comédien professionnel est capable de mettre à distance ses émotions, reprend-elle. Même s’il vient de vivre un deuil, il peut lire une œuvre comique, ou même la jouer sur scène, rire aux éclats… avant de s’effondrer en coulisses, quand il redevient lui-même, et que le deuil refait surface.
Il y a une vingtaine d’années, j’ai vu des élèves de collège lire des extraits de L’enfant méduse, l’histoire d’une fillette violée. Une élève s’est mise à pleurer. Si l’on n’est pas comédien de métier, on se laisse vite submerger par les émotions.
 
    - C’est vrai, confirme Auriane Cabot : le romancier Hervé Le Tellier m’a confié qu’en écoutant son livre, Toutes les familles heureuses, lu par Thibault de Montalembert, il avait été ému aux larmes, dans le dernier chapitre. Selon lui, il n’aurait pas pu le lire lui-même ; il a beaucoup apprécié la lecture proposée par l’ancien élève de Francis Huster.
Certains auditeurs, certaines auditrices aiment les lectures faites par les auteurs ou autrices, d’autres les détestent. Je pense au roman Fief, de David Lopez, lu par l’auteur. L’atmosphère est retranscrite dès les premiers mots : les vapeurs du cannabis, de l’alcool, les dialogues désabusés, le désœuvrement de cette bande de potes. Tout sonne juste, dans la voix du romancier. Un autre lecteur aurait peut-être trop fait entendre la littérarité du texte ; on aurait perdu cette authenticité brute.
    - Et si un auteur lit comme une patate, vous faites quoi ? demande Sylvie Germain à brûle pourpoint.
    - Nous nous arrangeons pour qu’il comprenne les nombreux problèmes, afin qu’il se rende compte, par lui-même, qu’il vaudrait mieux laisser un comédien enregistrer son livre. Il ne nous est encore jamais arrivé d’avoir à le dire frontalement à un auteur, heureusement !
    - Et comment se passent les enregistrements ? interroge un jeune.
 
 
Clara exprime naturellement son avis sur les audiolivres qu’elle a appréciés.
 
    - Le lecteur ou la lectrice est en studio, l’ingé-son en cabine. On lit sur tablette, ou sur des feuilles de papier imprimées uniquement au recto, afin d’éviter les bruits de pages. Pour une heure d’enregistrement fini, il faut compter deux heures en studio. Sans compter le travail en amont et en aval, bien sûr. Avant la lecture, l’éditrice (chez nous il y a uniquement des éditrices) effectue un travail de repérage. Elle fait des recherches pour savoir comment prononcer les mots étrangers, les phrases en latin médiéval, ou même les dialogues en langage extra-terrestre. Elle cherche des solutions pour faire entendre des italiques, des mises en pages spécifiques, et elle réalise des fiches qui aident la comédienne ou le comédien à surmonter tous ces écueils.
Au cours de l’enregistrement, l’ingénieur du son veille également à la cohérence de l’ensemble. Par exemple, si un personnage apparaît uniquement au début et à la fin d’un roman, le comédien doit reprendre la même voix ; alors l’ingé-son fait un « rappel voix », pour aider l’artiste. Et après l’enregistrement, il doit encore nettoyer les bruits de bouche, donner plus de rythme à la lecture quand le tempo s’essouffle… C’est tout un art !
    - J’admire leur travail, renchérit Sylvie Germain. Ils ont une acuité auditive extraordinaire. Au début, quand j’enregistrais mes livres, je n’avais pas de lutrin, j’essayais de faire glisser les pages le plus silencieusement possible. Les Editions des femmes œuvrent depuis longtemps, pour publier et enregistrer des œuvres d’écrivaines. Elles possèdent une petite librairie, avec un fonds très riche, près du Boulevard Saint Germain. Si un jour vous allez à Paris, n’hésitez pas à entrer dans leur boutique. 
    - Elles font des choix courageux, confirme Cécile Palusinski, comme leur enregistrement de L’Iliade et L’Odyssée en grec ancien. C’est invendable, et cela confirme leur vocation militante, en faveur de la littérature.
 
 
Sylvie Germain et Auriane Cabot expliquent aux jeunes les modalités d’enregistrement des audiolivres.
 
    - Comment avez-vous vécu vos expériences de lecture à voix haute, lors des ateliers avec Françoise Lervy ? demande Cécile aux élèves.
    - Nous avons travaillé la technique, explique Flavio, mais une bonne lecture requiert aussi un talent de comédien. C’est plus difficile quand on n’a pas fait de théâtre.
    - Oui, et c’est difficile aussi quand on a du mal à exprimer ses sentiments, ajoute Océane, très émue de parler en public.
Arnelle s’adresse à l’écrivaine : « J’ai bien aimé écouter vos Brèves de solitude, car elles nous parlent d’un événement que nous avons tous et toutes connu : le confinement, à cause du covid. Je n’étais pas seule comme vos personnages, pendant cette réclusion, mais, même entourée, on peut se sentir seule.
    - Je ne me serais pas sentie autorisée à parler des familles confinées à dix dans un petit appartement, car je n’ai pas connu cela. J’ai imaginé la solitude de différents personnages : seul·e, on est confronté·e à soi-même. Vous savez, les écrivains n’étaient pas les plus à plaindre, pendant ce confinement, car ils sont habitués à la solitude. Habituellement, je suis sollicitée pour des rencontres ; j’ai moins de temps pour écrire. Là, pour la première fois, j’ai écrit mon livre en seulement deux mois.
    - Et vous l’avez enregistré vous-même, sur la demande des éditrices, poursuit Cécile Palusinski.
    - Oui, confirme l’écrivaine. Parfois les auteurs ne sont pas les meilleurs lecteurs de leur propre livre, mais les Editions des femmes me font confiance…
 
 
Rayan, élève de 2de pro, esquisse les personnages 
que lui inspirent les œuvres écoutées.
Cécile Palusinki tient à donner aux jeunes un aperçu assez complet de la conception des livres audio ; elle demande à Auriane Cabot des précisions sur les incrustations de musique.
    - Nous achetons le droit d’enregistrer un livre, précise la responsable Audiolib, mais nous ne devons rien changer au texte. Ce ne sont pas des mises en scène sonores comme vous pouvez en entendre à la radio. Pour Le seigneur des anneaux, de Tolkien, nous n’avions pas le droit de demander au comédien-lecteur de chanter les chants elfiques. Ils doivent être simplement lus. Parfois nous ajoutons un son, pour traduire un effet de style. Par exemple, dans le roman culte Fondations, d’Isaac Asimov, certaines phrases sont tronquées. L’ingénieur du son a intégré un bruit de brouillement, dans ces passages. Certains auditeurs s’en sont plaints, et Apple Book a cru qu’il y avait des défauts d’enregistrement, et qu’il manquait des phrases. Nous étions sidérés par leur réaction !
    - J’ai bien aimé les bruits de parc, au début des Brèves de solitude. Pourquoi disparaissent-ils après le deuxième chapitre ? demande une professeure à Sylvie Germain.
    - J’avoue que je n’ai pas écouté mon audiolivre, répond l’autrice. Mais ce choix traduit certainement l’enfermement des personnages dans la solitude, lorsque chacun a dû s’enfermer chez soi, dans le silence.
La salle s’engourdit un peu, au souvenir de cette période confinée.
    - Nous allons passer au vote ! annonce la présidente de Plume de Paon.
 
 
Les élèves votent pour leur audiolivre préféré.
 
Tous les jeunes inscrivent le titre de leur audiolivre favori. Françoise Lervy, Elsa Mroziewicz, Cécile Palusinski passent récupérer leur bulletin, et chacun retourne au grand soleil, pour le déjeuner.
 
 
Dépouillement des bulletins de vote, sur la pause de midi.
 
Les explications se poursuivent en chemin :
 
    - Audible, filiale d’Amazon, est un vendeur. Il publie très peu. Les quelques titres qu’il produit ne sont ni en librairies ni en bibliothèques ; ils existent uniquement en format numérique ; on peut les acheter sur le net. En revanche, les éditions Audiolib, pour qui je travaille, publient des supports qui apparaissent au PNB (Prêt Numérique en Bibliothèque) ; les médiathèques peuvent proposer sept prêts simultanés pour un même titre.
    - Comment écouter des audiolivres de façon éthique ? demandent les professeures.
    - Je vous recommande le site Book d’oreille, qui vend des audiolivres en MP3, ce qui permet de les télécharger sur tous types de supports. Ainsi vous n’êtes pas limitées à telle liseuse, ou tel audiobook. Et une fois téléchargé, l’audiolivre vous appartient ; on ne vous impose pas un délai au-delà duquel l’écoute ne serait plus permise, comme c’est le cas sur certaines plateformes.
    - Et comment êtes-vous arrivée à ce poste, chez Audiolib ?
    - Par le commerce, répond Auriane. J’ai suivi une prépa littéraire pendant deux ans, puis j’ai bifurqué sur un double Master en marketing. Ensuite j’ai travaillé dans les éditions « pour les nuls », puis chez Poche, et lorsque mon maître de stage est parti, cela a créé un appel d’air : de proche de proche, je suis entrée chez Audiolib.
 
 
Françoise Lervy prépare les élèves de T.HLP au Grand Oral.
 
De retour dans la salle de conférence, nous trouvons Françoise Lervy, postée en cheffe d’orchestre devant le groupe de T.HLP, pour entraîner ces jeunes en vue du Grand Oral.
    - Je présente une question sur les violences infligées aux femmes, affirme Florentine.
    - Très bien. Articulez, faites porter votre voix. Regardez alternativement Mme Lanères et moi-même, recommande l’actrice. 
 
 
Elsa Mroziewicz annonce le résultat du vote.
 
Les autres classes reviennent à leur tour, et Elsa leur annonce le titre de l’audiolivre lauréat de La Plume de Paon des lycéen·nes 2022 :
 
    - Les impatientes, de Djaïli Amadou Amal, lu par Léonie Simaga !
 
On applaudit à tout rompre ! Ce titre était défendu par nos jeunes, très touchés par l’autofiction, et par sa mise en voix.
 
L’après-midi, plusieurs groupes montent sur scène pour interpréter des extraits de leur livre audio préféré, sous la houlette de Françoise Lervy.
 
 
Un groupe de micro-techniciens du Haut-Barr 
interprète une saynète adaptée des Impatientes.
 
Maël, Chancelor, Mathis et Lucas, élèves de 2de pro, jouent un passage de l’œuvre qu’ils ont répété avec la professeure d’arts dramatiques lors des ateliers de lecture à voix haute. Tom, Melyna, Adrien, Ryan, Nicolas et Valentin soutiennent leurs camarades : toute la classe a participé à la mise en scène, ainsi qu’à la rédaction du discours prononcé ce matin. Les quatre jeunes du lycée du Haut-Barr sont accompagnés d’un élève d’un autre établissement, qui accepte, au pied levé, de prendre le rôle d’un personnage féminin. C’est aussi cela, les rencontres inter-lycées !
 
 
Chancelor semble avoir apprécié la lecture par les oreilles.
 
La séance défile vite ; il est déjà temps de regagner nos lycées respectifs. Cécile Palusinki est en route pour Taiwan, où elle passera une semaine en quarantaine, avant de reprendre ses pérégrinations professionnelles.
 
 
Sylvie Germain et Auriane Cabot rentrent à Paris ; 
Cécile Palusinski va s’envoler pour Taiwan.
 
Une page se tourne, pour les futur·es bachelièr·es de Terminale Humanités Littérature et Philosophie : cette sortie était la dernière de leur scolarité au lycée.
Dans trois mois, pendant que les élèves entrant en 1ère pro reprendront le chemin du lycée, les étudiant·es prendront le train pour suivre des cours à l’université ou dans les écoles de leur choix.
Sur le trajet qui les conduira vers cette nouvelle vie, peut-être auront-iels envie de fermer les yeux, pour écouter des romans…
 
 
Quelques élèves de l’atelier LSF (Langue des Signes Française), avec leur jeune enseignante amatrice Noémie Collard (à droite), se joignent au groupe de THLP et à leur professeure, Edwige Lanères.
Merci pour tout, chèr·es élèves !
 
Edwige Lanères