Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -


Le 24 janvier 2023, les élèves de la classe de 1èG2 du lycée du Haut-Barr ont assisté à une représentation ébouriffante du Malade / imaginaire, au Théâtre du Marché aux grains, à Bouxwiller avec leur professeure Edwige Lanères, et la CPE Emmanuelle Bocquet.

« Incroyable ! » s’exclame Benjamin.
« Ludique ! » « Percutant ! » « Mémorable ! » ajoutent Allyssa, Reyan et Raphaël.
C’est un franc succès pour Le malade / imaginaire, mis en scène et joué par trois talentueuses comédiennes de la Compagnie Gavroche : Aude Koegler dans le rôle d’Argan, Pascale Jaeggy (inénarrable Toinette ainsi que Diafoirus père et fils) et Céline D’Aboukir (Angélique, Louison, Béline et Béralde).
D’emblée, Céline annonce la couleur. « Bienvenue au théâtre ! Vous allez assister à la représentation du Malade /slash/ imaginaire. Nous ne jouerons pas la comédie-ballet entière ; nous avons ôté les parties chantées et dansées, ainsi que quelques scènes, pour la ramener à l’essentiel et en faire une forme adaptée à un public scolaire, hors les murs. »

Pascale Jaeggy distribue à quelques spectateurs et spectatrices des écriteaux portant les définitions qu’ils et elles liront aux moments opportuns, pendant la représentation.


Le dispositif scénique bi-frontal offrait aux spectateurices une proximité très appréciable avec les trois artistes. Pour les comédiennes, c’était un pari risqué, car elles percevaient le moindre chuchotement, le moindre mouvement dans la salle, mais leur professionnalisme leur a permis de ne pas se laisser perturber par les agitations du départ, et la suite du spectacle s’est déroulée à merveille. Nous étions captivé·es par ce spectacle dynamique, drôle, où chaque scène offrait des rebondissements, des révélations sur les personnages, ou encore des lazzis à l’envie ! Les lazzis, ce sont ces gestes, ces mimiques, ces jeux scéniques improvisés qui ne sont pas écrits dans la pièce, et que les artistes ajoutent pour faire rire le public. Molière, excellent comédien, amusait ainsi le roi, ses courtisans et toutes les personnes qui eurent la chance d’assister à ses représentations.

Louison, la fille cadette d’Argan, doit avouer à son père qu’elle a vu sa grande sœur Angélique discuter avec un jeune homme dans sa chambre.


Au départ, dans un moment de « no man’s land » où le public ne savait pas si le spectacle avait commencé ou non, deux comédiennes ont demandé à leur compagne Aude Koegler (Argan) d’ôter son masque, mais elle s’est récriée, arguant que les collégiens assis en face de nous apportaient certainement des milliers de virus, de microbes et de bactéries. Finalement, cette prétendue hypocondriaque a bien voulu ôter son masque, pour endosser le rôle-titre, celui d’un malade imaginaire, qui se croit toujours souffrant et voue aux médecins une confiance aveugle, quand bien même les docteurs se contredisent et lui prescrivent les remèdes les plus farfelus ou intrusifs. Clystère pour les lavements, saignées, régimes absurdes, Argan accepte tout, sans distinction, en dépit du bon sens. Car le bon sens, c’est Toinette, sa servante, qui le possède, et non pas son maître, sorte de vieil enfant pleurnichard et capricieux incarné avec un humour décapant par Mme Koegler.
« Toinette ! Drelin ! drelin ! drelin ! Toinette ! » hurle le faux impotent depuis son cabinet : une cabine de douche installée côté cour. « Chienne ! » s’écrie le vieillard quand sa servante le fait patienter. Et ladite domestique de nous regarder, complice, avec un air qui en dit long sur son refus d’accepter les caprices du prétendu grabataire. 

« Vous ne la mettrez point dans un couvent », déclare Toinette à Argan qui menace sa fille de faire d’elle une religieuse si elle refuse d’épouser le docteur Diafoirus.

« Vous n’aurez point ce cœur-là » affirme la servante quand son maître prétend envoyer Angélique chez les sœurs. « Cœur ! » répète-t-elle en s’adressant au public.
Aussitôt, Paul Taveneaux se met à lire sa pancarte : « Le cœur, organe central du système circulatoire dans la culture populaire, est le centre du courage, de la volonté et de l’amour. Attention : le cœur se greffe, l’amour non. »
Les élèves qui ont reçu une définition à lire pendant la représentation restent aux aguets ; ils et elles s’attendent à tout moment à être sollicité·es par les actrices pour expliquer un vocable ancien, dont le sens a pu évoluer depuis l’époque classique.
« Propagation ! » clame une comédienne.
Du tac au tac, la voix de Théo Halfaoui s’élève, claire et intelligible : « la propagation c’est la reproduction des espèces. La reproduction, vous savez ce que c’est. »
« Ah oui, vous savez ce que c’est, » confirme Pascale Jaeggy, naviguant entre son personnage et sa personne réelle.
Mais la définition qui suscite le plus de rires est celle que Benjamin lit à l’assistance : « Diafoirus peut être traduit par : champion de la diarrhée. » Peu flatteur pour un pédant docteur qui prétend épouser la jeune Angélique…
Tous les types de comique sont convoqués : comique de mots, bien sûr, mais aussi comique de gestes, de répétition et de situation. Et tous les caractères sont caricaturés, comme le veut la comédie de Molière. L’hypocondriaque, petit tyran paternel, souffre de coliques écœurantes ; la servante, habile et rusée, protège la jeune première, Angélique, et l’aide à arracher auprès de son père le droit d’épouser Cléante. Béralde, oncle d’Angélique, devient un bonhomme obèse qui envie la belle constitution de son frère Argan ; Béline, vêtue de soie pourpre et d’hypocrisie mielleuse, feint une tendre affection pour son époux, et les docteurs Diafoirus père et fils, arborant un monstrueux tablier en plastique taché de sang, prônent le forçage des pucelles et le viol conjugal.

Angéline tente de persuader son père Argan de l’autoriser à épouser l’homme qu’elle aime : Cléante.


Car les rires cachent ou révèlent les larmes, comme toujours dans les comédies de Molière. « Castigat ridendo mores » : « Par le rire on instruit les mœurs ». Le jeu de la comédienne incarnant le fils Diafoirus a suscité bien des rires, car son visage était caché derrière une longue frange en laine qui l’obligeait à souffler ou rejeter sa tête en arrière à chaque instant. Mais ces lazzis, ces rires résonnaient étrangement dans une scène sacrificielle où l’on voyait une jeune fille, Angélique, vierge couchée dans un lit blanc, livrée en pâture à un homme qu’elle ne connaissait pas, sur l’ordre de son propre père.

Céline d’Aboukir incarne une Angélique sidérée par l’effrayante perspective d’être offerte par son père au docteur Diafoirus.


« Pfouh ! c’était dur d’être une fille, à cette époque ! » s’exclament les artistes au cours d’un moment « métathéâtral » où elles modifient le décor.
Oui, explique Céline : au XVIIème siècle, les veuves se retrouvaient jetées à la rue. L’héritage de leur défunt mari allait à ses enfants. Dans la pièce, Béline souhaite que les deux filles qu’Argan a conçues lors d’un précédent mariage soient envoyées au couvent, afin qu’elle seule touche ses biens ; c’est cruel, mais cela découle directement de la loi inique privant les épouses de tout legs.

Béline prodigue à son époux des caresses enjôleuses, mais Toinette n’est pas dupe de son stratagème.


Pour faire sortir Argan de son aveuglement sur sa femme et lui faire connaître les sentiments que sa famille éprouve réellement pour lui, Toinette élabore un stratagème efficace : elle demande à Argan de contrefaire le mort et pleure le décès de son cher maître devant son épouse. Outré de voir sa chère Béline se réjouir de sa mort et mettre la main sur son argent, Argan ressuscite… pour recommencer aussitôt l’expérience auprès de sa fille Angélique. Devant le désespoir de son enfant, ses yeux se dessillent enfin, et la jeune fille parvient à obtenir de lui l’autorisation d’épouser celui qu’elle aime. Tout est stratagème, au théâtre : le décor, le jeu des comédien·nes, l’art du dramaturge pour nous plaire, nous instruire, et les ruses des valets ou servantes pour marier les jeunes amant·es.
Stratagème encore, le choix de cette pièce, en 2020, quand l’épidémie de covid entraîna le confinement des populations, et relégua les artistes au rang de « non essentiel·les ». 
   - Pourquoi avez-vous choisi de monter cette pièce ? demande Raphaël.
   - Il y a trois ans, la crainte s’est répandue partout ; même les personnes en bonne santé craignaient à tout moment d’être malades. En même temps, la culture est devenue « non essentielle ». Ces deux éléments conjoints nous ont bouleversées, et nous avons commencé à travailler sur cette comédie.

Béralde (en bob vert) tente de convaincre son frère Argan de renoncer au mariage forcé de sa fille avec l’horrible Diafoirus. Dans la même scène, Toinette se déguise en docteur et propose au malade imaginaire des remèdes radicaux -couper un bras, crever un œil-, pour le dissuader de s’en remettre trop aveuglément aux docteurs.

    - Cela vous a pris combien de temps ?
    - Il nous a fallu six à sept semaines de répétition, répond Céline d’Aboukir, mais auparavant, le travail de lecture, de scénographie et de mise en scène a duré deux ans. 
    - Vous avez travaillé avec un metteur en scène ? questionne Thibaut.
    - Habituellement oui, mais pour ce spectacle, nous avons créé la mise en scène nous-mêmes.


Bord de plateau, à l’issue du spectacle. Malgré la fatigue engendrée par les deux représentations de la journée, les actrices restent sur scène pour un temps d’échange avec les élèves.

    - Et pourquoi avez-vous choisi ce dispositif bi-frontal ? s’enquiert Lou, une jeune comédienne amatrice, ancienne élève de Céline d’Aboukir.
    - Il nous arrive de jouer dans des lieux divers ; des cantines par exemple. Et puis cette disposition nous permet d’interagir avec les spectateurs et spectatrices.
Effectivement, à plusieurs reprises les actrices ont cassé le quatrième mur : tantôt elles regardaient directement un lycéen, tantôt elles lui demandaient de tenir un accessoire, de lire l’un des écriteaux expliquant de façon comique les mots difficiles, tantôt le vieil Argan requerrait d’un geste les mains charitables des collégiennes pour l’aider à se relever… Ces échanges plaisaient beaucoup au public !

De gauche à droite : Pascale Jaeggy, Aude Koegler et Céline d’Aboukir.

Reyan se renseigne à son tour : « Vos costumes, vous les avez créés vous-mêmes ? 
    - Non, c’est la costumière Florence Bohnert qui les a faits, en concertation avec nous, et en fonction de notre interprétation de la pièce. Elle a teint les habits et les a maculés de taches : la maladie, c’est sale. Elle a prévu des éléments de costumes aisément reconnaissables, que nous pouvions mettre rapidement par-dessus notre vêtement initial (la tenue blanchâtre) : le chapeau, la perruque, la barbe, le tablier, les gants en plastique de Diafoirus…

Après chaque représentation, les actrices rembourrent les coussins qu’elles ont vidés de leurs plumes ; elles remettent en place le décor, les accessoires, en vue du prochain spectacle.

    - Là, les personnages masculins étaient joués par des femmes, constate Raphaël. Est-ce que l’inverse est possible ? Oui, tout à fait, annonce Aude Koegler. A l’époque de Shakespeare, tous les rôles étaient joués exclusivement par des hommes. Dans Roméo et Juliette, Juliette est incarnée par un homme.
Je le sais, pensent Lou, Ianis, Reyan et Mme Lanères : le metteur en scène Serge Lipszyk nous en a parlé, l’autre jour, lors de son atelier théâtre sur les drames de Shakespeare.
    - Avez-vous un deuxième métier ? demande Jérémy.
    - Nous sommes uniquement comédiennes, déclare Aude Koegler. Heureusement, il existe en France un statut particulier, presque unique au monde : celui d’intermittent·es du spectacle. C’est une sorte de chômage que nous touchons entre deux spectacles, quand nous ne jouons pas sur scène.
   - Cependant nous exerçons plusieurs fonctions, précise Pascale Jaeggy. Je m’occupe de la vente du spectacle et de la médiation, et nous donnons des ateliers auprès des scolaires.
    - Nous jouons également à la télévision et au cinéma, reprend Aude, alias Argan.
    - Vous est-il déjà arrivé de jouer des pièces que vous n’aimiez pas ? s’enquiert Benjamin.
    - Mmmmmm…. Au théâtre, non. Mais parfois, il m’est arrivé de jouer des rôles peu intéressants pour la télévision. Pour manger, avoue Aude en souriant.
    - Et vous avez des vacances, et la retraite à 65 ans ? veut savoir Jérémy.
Le public et les actrices rient devant le caractère terre-à-terre des questions de ce lycéen. Les comédiennes répondent avec le même pragmatisme :
    - Souvent les théâtres sont fermés pendant les vacances scolaires, donc nous ne jouons pas sur ces périodes ; nous organisons parfois des stages et gérons les aspects administratifs.
    - Quant à la retraite, elle sera toute petite… mais nous ne faisons pas cela pour l’argent.
    - Depuis combien de temps vous connaissez-vous ? interroge une collégienne.
    - Oh ! cela fait bien trente ans ! s’exclame Pascale.
    - Et comment avez-vous choisi ce métier ?
   - J’écrivais déjà des pièces quand j’étais enfant, explique-t-elle. Je les faisais jouer par des cousins, des cousines, des ami·es, et nous les interprétions devant nos parents. Après le bac j’ai suivi une école de théâtre.
Ce métier fait rêver : si les acteurs et actrices sont pauvres d’argent, ils et elles sont riches de ce qu’ils et elles offrent au public : une évasion, des émotions. Des messages, aussi : ceux des pièces, et ceux des comédiennes, perceptibles dans leur jeu.
Ils et elles sont essentielles, pour nous émouvoir, pour rire, partager, et réfléchir, comprendre un peu mieux notre monde et tout ce qui s’y joue.
Un immense merci à ces trois très grandes artistes, merci au Théâtre du marché aux grains de Bouxwiller, et merci aux élèves de 1èG2 du lycée du Haut-Barr, pour leur enthousiasme !


Edwige Lanères

1er rang : Lou, Thibaut, Mme Lanères, Nicolas et Mme Bocquet.
2ème rang : Lilou, Benjamin, Ianis, Laure, Tess, Noa, Reyan et Raphaël.
3ème rang : Sérifénas (cachée) , Alyssa, Romain, Amandine (cachée), Mahla, Anouk
4ème rang : Dimitri, Manon, Aude, Théo Helterlin, Paul, Jérémy, Théo Halfaoui, Noah, Ethan.

Quelques réactions d’élèves.


Dimitri :  J'ai beaucoup aimé ce spectacle, il est passé tellement vite qu'on n’a même pas eu le temps de se rendre compte de l'inconfort que c'est que d'être assis sur une table sans dossier. J'ai bien ri grâce au frère d'Argan, un personnage comique, et surtout bon vivant ! De plus la transition entre les deux personnages Diafoirus était un jeu très drôle, cela m'a également beaucoup plu. La scène de simulation de la mort m'a également fait rire et les cris nous ont tous surpris ! Le rôle du malade imaginaire était aussi très comique. J'ai adoré la scénographie, simple et concrète, ces couettes et ces oreillers de plumes ont permis un changement à vue d'un lit en hauteur à un lit double puis un fauteuil. De plus, les cabines forment des isoloirs pour jouer une scène aux toilettes ou encore changer de costume. J’ai apprécié aussi la proximité avec les artistes : cela nous immergeait dans l’action ; j’ai l'impression d'avoir appris à les connaître, elles étaient si proches que j’ai mémorisé les traits de leurs visages, et j’ai ressenti les émotions qu’elles transmettaient.
Par contre, Argan reste pour moi un père lâche et égoïste.

Allyssa : Le dispositif bi-frontal est un moyen efficace de capter notre attention.


Amandine : Cette mise en scène nous aidait à comprendre la pièce : même si c’est du langage ancien (XVIIème siècle), on comprenait tout. Le jeu des actrices et les écriteaux sur les définitions m’ont permis de saisir le sens de cette comédie.