Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

Le 6 octobre 2022, les élèves de 2de4 et de terminale AMC assistent à la représentation d’une pièce de Matt Hartley : 65 miles. Les jeunes sont accompagné·es de leurs professeur·es : Edwige Lanères, Aurore Bernard et Thibaud Kueny.

En amont, les élèves ont eu connaissance de plusieurs extraits de l’œuvre ; certain·es ont traduit des passages, d’autres ont joué des scènes, sous forme d’ateliers théâtre. 

Les élèves de 2de mettent en scène des extraits dramatiques, afin de saisir le rapport singulier qui se crée entre le grand frère et son cadet, et surtout les questionnements soulevés par leurs dialogues.

Travail en groupe ; être à l’écoute de la collectivité, pour que le ‟pont du bateau” reste stable, et que les membres de l’équipage ne se heurtent pas en se croisant, malgré l’accélération croissante, digne de la station Les Halles, à Paris.

Les élèves envoient un ‟message - balle” et le réceptionnent. Leur regard doit être précis, leur réception claire, lisible : théâtrale.

Travail sur l’écoute de l’autre et la clarté des messages, 
par l’exercice des marionnettes.

Les conflits, l’impossibilité de se comprendre sont au cœur de la pièce de Matt Hartley ; les mises en jeu proposées par les élèves expriment ces tensions.


Pete. J’ai fait de ta vie un enfer, pas vrai. Je t’ai chassé.
Franck. Ta mère a pris sa décision.
Rich. Et elle l’a regretté, tu sais. Moi aussi.
Franck. Eh bien, c’est très gentil à toi. Mais on peut pas changer le passé.
Pete. Non.
Franck. Pas autant qu’on voudrait.
Pete. J’veux retrouver ma fille.

Les mises en scène des élèves traduisent des interprétations variées des personnages et de leurs relations.

Pete. J’ai roulé un peu partout aujourd’hui.
Rich. Pete, tu peux pas continuer à me faire ça.
Pete. Et y a pas deux rues pareilles. Un vrai cauchemar putain.
Rich. Quoi ?
Pete. Comme de rouler dans un labyrinthe. Peux pas tourner à gauche. Peux pas tourner à droite. Sens interdit. Sens unique. Putain…
Rich. C’est facile. Y a plein de panneaux.
Pete. Tout a changé. Avant je pouvais rouler les yeux fermés. J’connaissais
chaque rue. J’aurais pu être chauffeur de taxi, sans problème.
Rich. Tu roules trop lentement pour être chauffeur de taxi. Trop lentement et trop en contrôle.

Cette expérience concrète de l’art théâtral, qui suscite à la fois leurs émotions et leur réflexion, les invite à plonger dans le labyrinthe du « moi », à travers une intrigue reposant sur la filiation : qui suis-je ? Dans quelle mesure suis-je le fruit de mon enfance, de ma famille, et que vais-je transmettre à mes enfants ? 
La fable part ainsi de l’intime pour accéder à l’universel, et toucher chaque spectateur, chaque spectatrice. La scénographie proposée par la compagnie Paradoxe(s) donne à voir ces méandres de la quête de soi.

Rich (côté jardin), Pete (côté cour), et leur père ont du mal à se comprendre.


De leur côté, les élèves de Terminale AMC étudient la thématique « Faire société » au travers de la question de l’unité et de la pluralité. 65 miles, de Matt Hartley, invite le public à interroger la diversité des personnalités et des destins au sein de l’unité que constitue la cellule familiale, notamment ici dans le contexte spécifique du nord de l’Angleterre. Les lycéen·nes observent les particularités de l’ancien bassin minier britannique où se déroule la pièce, entre Hull et Sheffield, deux villes qui ont été touchées de plein fouet par la crise industrielle des années 1970 et les mesures du thatchérisme. La pièce est mise en lien avec le film Moi, Daniel Blake du réalisateur engagé Ken Loach.
Ainsi préparé·es à percevoir les subtilités du spectacle et le sens que peuvent revêtir les choix scénographiques, les deux groupes d’élèves sont emmené·es en bus jusqu’au TAPS (Théâtre Actuel et Public de Strasbourg) Scala, route du Polygone. Ils et elles dînent d’un casse-croûte face au théâtre, sur la Place du marché du Neudorf, dans une ambiance amicale et sympathique.

Pique-nique devant le théâtre : TAPS Scala.

Les élèves de Terminale AMC, avec le professeur de philosophie Thibaud Kueny.

Vers 19h45 le personnel nous délivre les billets d’entrée, et les jeunes découvrent une salle de dimensions modestes, très pentue : cette disposition permet aux spectateurices des derniers rangs d’avoir, malgré tout, une visibilité correcte, ce qui est rarement le cas dans les grandes salles.
L’effervescence redescend doucement ; la représentation commence. Rich vit seul dans la maison paternelle ; il est bientôt rejoint par son grand-frère Pete, fraichement sorti de prison. Le cadet est rattrapé par son histoire récente : il a forcé sa petite amie Lucy à avorter. L’aîné, lui, compte retrouver sa fille après neuf ans d’absence, mais il ne connaît pas son visage. 

Rich et Pete reconstruisent leur relation fraternelle, après les 9 ans d’emprisonnement de l’aîné, coupable d’homicide.


Tous deux se trouvent pris dans des rets ; plus ils essaient de s’en dépêtrer, plus les mailles se referment sur eux. Comment tracer une passerelle entre le passé et le présent, malgré les fautes irréparables qui ont été commises ? Dans l’univers austère où ils ont grandi, les protagonistes ont du mal à refreiner les pulsions de violence qui surgissent en eux ; l’engrenage semble inexorable. 

Rich, le cadet, a l’air d’un ange…

… mais il violente la mère de son ex-compagne.


Pourtant, des figures lumineuses maintiennent une flamme d’espoir : Lucie aime encore Rich. Pete renoue avec son frère.

Scène comique de la femme Sans Domicile Fixe dans la chocolaterie.

 

Le père des jeunes hommes cessera de rejeter son fils aîné et de se morfondre après la mort de son épouse. La cage tracée par les néons se métamorphose en paysage de neige, comme une page blanche où tout est encore possible…

A la fin de la représentation, l’enthousiasme des lycéen·nes se mesure à la chaleur des applaudissements : nos jeunes ont adoré ce spectacle ! Et iels ont aimé reconnaître certains passages mis en scène à leur façon, quelques jours auparavant, en atelier théâtre.
Ils et elles parlent avec engouement du spectacle, le lendemain, lorsque nous procédons à la traditionnelle « analyse chorale », qui consiste à étudier méthodiquement la mise en scène, et à tenter d’interpréter les choix des artistes. 

Le ‟bord de plateau” est un moment d’échange entre les artistes et les spectateurices, à la fin de la représentation.


Les élèves n’ont qu’un regret : celui de n’avoir pu rester plus longtemps, après le spectacle, lors du « bord de plateau », pour discuter avec les comédiens, les comédiennes et le metteur en scène. Il a fallu écourter cet échange car le chauffeur de bus faisait des tours du quartier, faute de pouvoir se garer. Néanmoins, les jeunes ont pu échanger avec les acteurices à propos de cette "âpreté du langage" dont parle l’acteur Garlan Le Martelot (Rich, dans la pièce). Les phrases non verbales, les mots jetés sans liens apparents, sont un choix de l’auteur Matt Hartley -et de la traduction-, pour transcrire les difficultés de communication entre les gens.


Rich et Pete redeviennent eux-mêmes : Garlan Le Martelot et Benjamin Penamaria.

En revanche, la communication passe très bien, entre le spectacle et le public, non seulement grâce au jeu très talentueux des comédien·nes, mais encore grâce à cette mise en scène riche, dont le sens se dévoile au fil des tableaux. Quelques détails suffisaient à camper un décor à mi-chemin entre l’allusion naturaliste et la signification symbolique : le rideau filaire évoquant une prison, les miroirs et leurs doubles, les néons marquant des frontières dans le noir…

Voici le compte-rendu rédigé par cinq élèves de terminale AMC en anglais, et traduit en français ci-après.


The play “65 miles” takes place in Sheffield, in the center of England. Right from the start, the audience is immersed in the gloomy atmosphere of industrial Great Britain. Even though you can’t see it from the settings, you can very well picture the former industrial neighborhoods with their houses built in bricks, the thick and black smoke that escapes the factories chimneys, the monotonous sound of the rain that seems to never stop from the atmosphere on stage. You suddenly find yourself right in that miserable lifestyle, directly inherited from the economic crisis of the 1970s when people lost their jobs and had trouble finding one again, providing for their needs or access to a decent education. The way the actors are talking speaks volume about their lack of education. The verb agreements are not always right, which implies their lack of vocabulary, thus interfering in the way they want to express their feelings. All of the latter is even further reinforced by the fact that they had little or no self-restraint, which betrays the wretched, and sometimes violent, atmosphere they may have grown up in.

Sheffield, où se déroule la pièce 65 miles, se situe dans le centre de l’Angleterre. Dès le début de la représentation, le public est plongé dans l’ambiance morose de cet ancien bassin industriel. Même si les décors ne laissent rien transparaître, le public n’a aucun mal à imaginer les anciens quartiers industriels avec leurs maisons en briques, la fumée noire et épaisse qui s’échappe des cheminées des usines, le bruit monotone de la pluie qui tombe sans discontinuer... On se retrouve soudainement immergé dans cette vie misérable, héritage direct des années 1970, époque de crise économique, où les gens perdaient leur travail sans arriver à en retrouver un, sans pouvoir subvenir à leurs besoins ou accéder à une éducation décente. La façon de parler des acteurs en dit long sur leur manque d’éducation. Les temps et les accords ne sont pas toujours respectés, ce qui laisse entendre leur manque de vocabulaire, interférant ainsi avec la façon dont ils expriment leurs sentiments. Tout cela est aussi renforcé par leur attitude manquant parfois de retenue ou de contrôle, trahissant l’environnement dur et parfois violent dans lequel on devine qu’ils ont grandi.  

FALK Thibaut, FALLAY Lili, GOMA Romane, PORCHE Mayanne, SICOT Mathis pour le groupe de Terminale, spécialité Anglais Monde Contemporain

Un grand merci à la compagnie Paradoxe(s) pour la qualité de ce spectacle. Merci à Sylvie Darroman, médiatrice du TAPS, pour son travail d’information et pour nos échanges fructueux. Merci à Aurore Bernard, professeure d’anglais de T-AMC, pour cette collaboration réussie ! Merci à Thibaud Kueny, professeur de philosophie qui nous a accompagné avec plaisir ! Et un grand merci à l’ensemble des élèves pour leur excellente tenue et leur enthousiasme communicatif !


Edwige Lanères