Lycée du Haut-Barr

- 67700 Saverne -

Photo 1 : Les élèves de TG1, THLP et 1HLP au CDI autour de l’écran où l’on voit Mme Askolovitch, avec M. Roth, Mme Jezequel, Mme Jundt, M. Sinteff, Mme Wegner, Mme Buttin et Mme Le Van.

Ce vendredi 24 mars, les TG1, THLP et 1HLP, ont eu l’incroyable chance de bénéficier, dans leur cours de philosophie, de deux témoignages profondément marquants, celui en distanciel de Mme Evelyn Askolovitch, 85 ans, déportée dans trois camps alors qu’elle était petite fille (entre ses quatre ans et demi et ses six ans) et celui de M. Bernard Roth, 86 ans, en présentiel, dont trois membres de sa famille proche ont été déportés. Deux d’entre eux, assassinés à Auschwitz, la troisième personne peut-être en Russie. Il s’agit d’une des étapes du parcours mémoriel et citoyen mené en 2022-2023, intitulé « Persécutions et Résistances », piloté par Mme Le Van avec le soutien de ses collègues Mme Cousandier, Mme Wegner et M. Kueny.

Ce projet UNESCO, qui s’articule autour d’un voyage à Munich-Dachau (03 au 06 avril 2023), a permis aux élèves de se rendre à la BNU et aux archives d’Alsace (09. 12. 2022) ; de bénéficier de cinq stimulantes conférences sur l’Alsace pendant l’annexion de fait par le IIIème Reich, expliquant les dures conditions infligées par les nazis aux récalcitrants et aux incorporés de force ou « Malgré-Nous », mais aussi présentant des mouvements de résistance alsaciens, notamment « La main noire », « Les Pur-Sang » ou « Le réseau Adam » : M. Cyrille Schott (09. 12. 2022), Mme Sophie Kleinmann-Quirin (23. 01. 2023), M. Jean-Laurent Vonau et M. Sébastien Soster (27. 01. 2023), M. Bernard Linder (10. 02. 2023). Dans le cadre de ce projet, les TG1 et THLP se sont également rendus au camp de Natzweiller-Struthof avec une commémoration devant la fosse aux cendres (10. 02. 2023), et enfin, une sortie finale est prévue au Mémorial De Gaule à Colombey-les-deux-Eglises (11. 05. 2023). Toutes ces étapes sont relatées dans des articles en ligne sur le site du lycée, n’hésitez pas à les consulter !

Photo 2 : Mot d’accueil de Mme Le Van.

« Bonjour à toutes et tous,

C’est dans le cadre du projet UNESCO « Persécutions et Résistances » - que nous menons sur cette année scolaire avec 4 partenaires : 1. la Société des membres de la légion d’Honneur, 2. les Archives d’Alsace, 3. le Ministère des Armées (Culture et Mémoire) et 4. le Souvenir français - que j’ai pu programmer cette double invitation de Mme Askolovitch et M. Bernard Roth, avec trois classes, les TH1, les THLP et les 1HLP. Je tiens à remercier chaleureusement pour leur présence : Mme Marie-Laure Jundt, présidente du Comité Alsace Nord de la SMLH, M. Roland Sinteff, membre très actif de cette association, ainsi que M. Jean-Charles Fischer, journaliste aux DNA.

Il est essentiel, encore et toujours, de se rappeler les horreurs de la Shoah pour ne pas les voir ressurgir, voilà pourquoi nous avons mis en œuvre ce parcours mémoriel et citoyen, avec le soutien de notre direction, M. Roland Buttner, Mme Laurence Jezequel, Mme Françoise Schmitt et Mme Morgane Montembault, et avec mes collègues Mme Jana Wegner, ici présente, Mme Laura Cousandier, qui s’excuse de son absence car elle est en réunion d’harmonisation pour les corrections des copies de spécialités du bac, et M. Thibaud Kueny, qui est en cours à cette heure. Je tiens également à remercier chaleureusement notre documentaliste, Mme Céline Buttin, de nous accueillir au CDI et d’avoir pris en charge, à la dernière minute, l’organisation technique de la vidéo-conférence.

Ce parcours a pour visée de faire réfléchir les élèves à l’importance décisive de la liberté individuelle et du choix des valeurs que l’on décide de suivre pour orienter sa vie : l’histoire nous apprend que des idéologies haineuses mènent inévitablement à la déshumanisation de ceux qui y adhèrent et peut même les transformer en persécuteurs, au contraire, des valeurs humanistes et citoyennes tirent vers le meilleur ceux qui les adoptent qui deviennent des citoyens éclairés, des acteurs de paix.

Photo 3 : Présentation des intervenants par Mme Le Van.

Nous avons aujourd’hui le bonheur incroyable de pouvoir bénéficier du témoignage de Mme Evelyn ASKOLOVITCH, 85 ans, en distanciel car elle habite à Paris, et des perturbations du trafic SNCF en raison de la grève ont empêché au dernier moment sa venue au lycée. Elle est rescapée des camps de la mort (de Vught et Westerbork aux Pays-Bas, puis de Bergen-Belsen en Allemagne) Petite fille, elle a été dans 3 camps de concentration pendant plus de 2 ans. Son CV relate ses nombreux et admirables engagements en faveur de la justice et de la paix. En 2017, elle devient Commandeur des Palmes académiques, et en 2021, Chevalier de la Légion d’honneur (les deux, en tant qu’intervenante en milieu scolaire et universitaire au titre de devoir de mémoire). Son témoignage est d’autant plus précieux que les derniers déportés rescapés s’en vont progressivement. Entendre le témoignage de ceux qui ont vécu cet enfer reste décisif pour prendre plus profondément conscience de la gravité de ces entorses au respect des droits humains et pour s’engager de manière déterminée contre toutes les dérives idéologiques propageant des discours de haine qui, in fine, aboutissent à des persécutions. Si l’on ne veut pas que l’histoire se répète, il faut la connaître.

Nous avons également l’inestimable chance de recevoir M. Bernard ROTH, 86 ans, en présentiel car il habite à Strasbourg et j’ai eu la joie de le chercher ce matin. Ses Grands-parents ont été gazés à Auschwitz, son oncle a disparu en Russie – il pourra nous relater leur tragique parcours. De plus, M. Bernard Roth est un homme admirable, profondément humaniste et très engagé qui effectue des interventions nombreuses en maison d'arrêt, à l’EPIDE, dans des lycées et collèges, à la fois comme passeur de mémoire mais aussi pour transmettre des valeurs citoyennes par son exemple de grand sportif toujours prêt à relever des défis impressionnants ! Rappelons qu’il est Commandeur de la Légion d’honneur et Commandeur dans l’Ordre national du Mérite. Chaque fois que j’échange avec Bernard Roth, j’ai l’impression qu’il me partage sa profonde joie de vivre, véritablement communicative, et son courage rayonnant !

Nous allons maintenant écouter nos deux intervenants qui ont des témoignages forts à nous partager, et rappelons-nous qu’il est essentiel qu’un dialogue intergénérationnel voit le jour pour une transmission vivante des valeurs humanistes ».

Témoignage de Mme Evelyn Askolovitch

*En guise d’introduction à son témoignage, Mme Askolovitch explique  qu’il : « … faut savoir qu’aux Pays-Bas, les ¾ des Juifs hollandais ne sont pas revenus de la déportation, là où en France les ¾ des Juifs ont été sauvés ».

Photo 4 : Evelyn Askolovitch sur le grand écran du CDI fait son témoignage en visio-conférence en raison de la grève des trains qui a l’a empêchée de se rendre au lycée du Haut-Barr.

*Puis elle présente ses origines : « Mes parents sont des Juifs allemands : les Jakob de Sulsbach du côté de mon père, et ma mère vient de la Rhénanie, elle est née à Spire. Mon père était persuadé qu’il y aurait la guerre et il a décidé d’aller à Amsterdam, pays neutre. Ma mère voulait être juge pour enfants, mais lorsqu’elle a obtenu son baccalauréat, on lui a signifié qu’en tant que juive, il ne lui serait pas permis de mener des études universitaires. Elle a décidé de partir en Angleterre pour passer un diplôme attestant de sa maîtrise de l’anglais. Puis, elle a rejoint sa famille à Amsterdam. Par le biais de connaissances communes, mes parents se sont rencontrés et sont tombés amoureux. Leur mariage a eu lieu le 3 juillet 1936 en Allemagne à Wiesbaden. En 1936, il y a eu les JO de Berlin. Hitler a relâché la pression à l’égard des Juifs, le temps des Jeux, pour ne pas ternir la réputation de l’Allemagne : cela aurait fait mauvaise impression. Mais dès les JO terminés, la mise à l’écart des Juifs a repris. De plus en plus d’emprisonnements ont eu lieu, une vraie stigmatisation a vu le jour ».

Photo 5 : La conférence d’Evian en 1938, surnommée « la conférence de la honte ».

*Notre témoin souhaite ensuite nous partager un événement historique trop souvent méconnu, la conférence d’Evian, qui laisse songeur aujourd’hui, avec le recul de l’histoire : « Connaissez-vous la conférence d’Evian, qui a eu lieu du 06 au 16 juillet 1938 et fut organisée à l'initiative du président des Etats-Unis Roosevelt ? La Suisse, pays neutre où résidait le siège de la SDN, ne voulant pas recevoir la conférence, c'est la France qui l’a hébergée dans la ville d'Évian. Alors que les persécutions des Juifs allaient crescendo, 51 pays furent invités. Son but était de venir en aide aux réfugiés juifs allemands et autrichiens fuyant le nazisme, peu après l'Anschluss. Elle n’a débouché sur aucune mesure concrète, hormis la création du comité intergouvernemental pour les réfugiés (CIR). La situation pour les Juifs était terrible, mais tous les pays ont fait savoir que le quota d’accueil était atteint. Personne ne voulait prendre en charge les Juifs d’Allemagne. Hitler avait fait savoir qu’il ne voulait plus aucun Juif sur le territoire allemand ».

Photo 6 : Evelyn bébé, dans les bras de son père en décembre 1938 (document fourni par Mme Askolovitch).

*Pour mieux montrer comment la petite histoire rejoint la grande histoire, elle précise : « Je suis née pendant cette conférence, un jour avant son achèvement, le 15 juillet 1938 », autrement dit, son destin était désormais scellé… « Le bilan de cette conférence était qu’il fallait organiser une conférence ultérieure pour statuer sur le sort des réfugiés juifs d’Allemagne, l’essentiel étant qu’il était plus urgent de se consacrer à préparer la guerre. Hitler a donc compris : 1. qu’il pouvait faire ce qu’il voulait des Juifs ; 2. que le problème des Juifs n’était pas une priorité du calendrier international ».

Photo 7 : La nuit de cristal, 9-10 novembre 1938.

*Après un bref silence, lourd de sens, Mme Askolovitch poursuit en parlant de la nuit de cristal : « Peu de temps après a eu lieu la Nuit de cristal (pogrom contre les Juifs du Troisième Reich qui se déroula dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938 et dans la journée qui suivit) ; à Spire les violences furent importantes, il valait mieux partir. Pourtant mon grand-père du côté maternel avait été Croix d’argent du fait de sa fidélité à l’Allemagne, mais il n’était désormais plus considéré comme un Allemand, ni comme un valeureux, mais juste comme un Juif dont il fallait purifier le pays qui devait devenir ‘Judenrein’ ». Un silence ponctue ses explications.

Photo 8 : Parade nazie à Amsterdam au début de l’occupation allemande des Pays-Bas.

*Notre témoin relate comme les Pays-Bas ont été envahis par les nazis : « Ma mère avait lu Mein Kampf et était horrifiée, car tout était écrit sur l’antisémitisme délirant d’Hitler. Ma famille a donc fui à Amsterdam en février 1939. À Amsterdam, pays neutre, mes parents pensaient être en sécurité. Mais le pays a été envahi en mai 1940, malgré l’affirmation d’un Ambassadeur du Reich qui avait dit que ce pays resterait neutre et donc en dehors de la guerre. En trois jours, c’était terminé : la Reine s’est exilée à Londres avec ses trois enfants. Les Pays-Bas étaient jusqu’alors une terre de tolérance, il n’y avait pas d’antisémitisme ni de racisme. Les Juifs étaient dans toutes les couches de la population hollandaise, ils étaient intégrés. Avec une rapidité incroyable, le pays a basculé dans l’obéissance à l’occupant et est devenu une nation docile. Une grève générale a bien été lancée à Rotterdam parmi les dockers suite à la rafle de 500 jeunes, mais elle a été réprimée violemment, en 24h. Ensuite, il n’y a plus eu de mouvement d’ampleur pour s’opposer à l’idéologie antisémite nazie ».

Photo 9 : Sa mère, le grand-père de sa mère : Gustav Alexander, et elle, printemps 1941 (document fourni par Mme Askolovitch).

*Mme Askolovich retrace le parcours douloureux des Juifs persécutés : « Et les persécutions ont commencé. Les Juifs se sont vus refuser beaucoup de droits : d’aller librement dans les parcs, les cinémas, les théâtres, les salles de concert. Les enfants juifs ont dû aller dans des établissements scolaires pour Juifs, ils n’avaient plus le droit de fréquenter les écoles classiques, ni les étudiants juifs, les universités. Les professeurs d’université juifs ont été démis de leur fonction. Les Juifs ne pouvaient être soignés que par des Juifs. Les Juifs étaient ainsi bannis de la société normale. Ils devaient également se déclarer auprès des autorités pour être inscrits sur des fichiers. J’ai une carte postale écrite par mon père où l’on voit que le courrier des personnes juives était censuré ».

Photos 10 et 11 : Carte postale recto avec Evelyn enfant, un nœud blanc dans les cheveux, datant de juillet 1941, et verso le texte, dûment tamponné par la censure, écrit par son père où il ne parle que de la chaleur, remerciant d’une lettre de ses beaux-parents, de Buenos Aires (document fourni par Mme Askolovitch).

Photo 12 : Photo de sa classe maternelle datant de juillet 1942 : 18 enfants (17 nés en 1938 et 1 en 1939) dont 8 ont été assassinés par les nazis, les autres ont survécu soit en étant cachés, soit en revenant des ghettos ou des camps. Elle est à droite, la 3ème entre deux autres enfants (document fourni par Mme Askolovitch).

*Elle s’interrompt et montre une photo de classe de maternelle avec 18 petits enfants adorables et elle précise : « 8 d’entre eux ont été gazés à Auschwitz ou Sobibor. Ils étaient tous nés en 1938, sauf un en 1939 ». Après un temps de silence, elle déclare : « Cette photo me secoue à chaque fois que je la vois ». Puis elle poursuit : « Les Juifs ont été recensés dans les commissariats et sur les cartes d’identité un « J » pour Juif a été ajouté. Tous les garçons ont été appelés « Israël » et toutes les filles « Sarah ». Il a fallu que les Juifs achètent des étoiles jaunes et les cousent sur leur vêtement ».

Photo 13 : L’étoile que les Juifs devaient coudre sur leurs vêtements.

*Elle a ensuite voulu distinguer le « confinement » lié à la crise covid de ce qu’ont subi les Juifs comme « persécution » en étant réellement « enfermés » chez eux : « On ne peut pas comparer le confinement lié à la crise sanitaire que nous avons traversée avec l’enfermement subi par les Juifs pendant les persécutions nazies. Les Juifs n’avaient plus aucun contact avec les autres, il n’y avait pas les moyens de communication dont nous disposons aujourd’hui, ils avaient peur. Ils vivaient dans un état de terreur épouvantable : des amis partaient et ne revenaient jamais. Chaque matin, ils avaient peur que la sonnerie ne retentisse à leur porte. Ils savaient que ces gens-là partaient vers l’Est, mais ils ignoraient ce qui les attendait ».

*Photo 14 : Evelyn avec manteau blanc, printemps 1942 un terre-plein à Amsterdam (document fourni par Mme Askolovitch).

*Elle raconte leur arrestation puis leur séjour dans le théâtre hollandais du 12 mars 1943 au 26 mars 1943 : « Mon père espérait pouvoir passer entre les mailles du filet. Mais le 12 mars 1943, une sonnerie a retenti à la porte. Il y avait deux soldats, un allemand et un hollandais (il faut savoir que ces derniers touchaient 6€ par Juif livré, c’était lucratif). Ils ont dit à mes parents de faire une petite valise, car il ne s’agissait que « d’une simple vérification d’identité qui ne devait durer que 2 à 3 jours ». Ma mère a eu la présence d’esprit de prendre son certificat de maîtrise de l’anglais. Nous sommes montés dans un camion. Mes parents ont été conduits vers le théâtre hollandais, et moi, j’ai été séparée de mes parents pour être amenée à la crèche en face du théâtre. J’étais affolée, je n’avais que quatre ans et demi. J’ai fermé ma tête, mon cerveau, je pleurais. Comme nous étions trop nombreux, nous avons été placés à 4 par lit, dans le sens de la largeur. Ce théâtre hollandais était un peu l’équivalent du centre de Drancy près de Paris. Il n’y avait pas de sanitaires adaptés et les adultes ne pouvaient pas aller voir leurs enfants. Il régnait un brouhaha assourdissant. Régulièrement, des gens étaient rassemblés et partaient, mais personne ne savait où. On pensait que les gens allaient dans un camp de travail ».

Photo 15 : Une des rares photo du camp de Vught.

*Quelques précisions historiques sur le camp de concentration de Vugh situé aux Pays-Bas : https://www.jewishgen.org/forgottencamps/Camps/VughtFr.html. Des trois camps créés en Hollande par les nazis, seul Vught était qualifié par les allemands de camp de concentration (Konzentrationslager Herzogenbusch). Les premiers prisonniers arrivèrent à Vught le 13 janvier 1943. Ils provenaient d'Amersfoort et étaient dans un état pitoyable. Les premiers prisonniers juifs arrivèrent le 16 janvier 1943. Le commandant du camp était le capitaine SS Karl Chmilewski. Ce capitaine était connu pour les atrocités qu'il avait commises au camp de Gusen, annexe de Mauthausen. Par après, les commandants du camp furent les officiers SS Grunewald (octobre 1943) et Huttig (février 1944). Vught contenait deux sections : la première (Judendurchgangslager - JDL) était destinée aux prisonniers juifs en attente de transfert vers l'Allemagne. Les transferts se faisaient en deux temps : de Vught vers Westerbork puis de Westerbork vers les camps d'extermination. Les transferts de prisonniers juifs vers Westerbork ne déclenchaient presque jamais de panique : beaucoup de juifs croyaient qu'ils allaient rester définitivement à Westerbork. Ils ne savaient pas que Westerbork n'était qu'une étape avant leur transfert vers les camps d'extermination. La seconde section de Vught était appelée camp de prisonniers de sécurité (Schutzhaftlager). Elle regroupait tous les prisonniers politiques hollandais et belges, hommes et femmes séparés. La garde du camp était assurée par des SS. Les SS battaient et torturaient les prisonniers de manière incroyable et la nourriture était quasi inexistante. Les gardes SS battaient les prisonniers jusqu'à la mort (avec des bâtons enroulés de fil barbelé), ils excitaient leurs chiens contre les prisonniers et il y a de nombreux témoignages de morsures atroces. Des centaines de prisonniers hollandais et belges furent fusillés au lieu appelé « De IJzeren Man » (« L'Homme de Fer ») situé à environ 900 mètres du camp.

*Elle relate leur déportation vers le camp de concentration de Vught (Sud des Pays Bas) du 26 mars 1943 au 6 juin 1943 : « Finalement, nous avons été déportés au camp de Vught, c’était un camp de concentration avec des fils de fer barbelés, des chiens, des miradors. Nous avons été transportés dans des trains à bestiaux d’Amsterdam à Vught. J’ai failli y mourir : 90% d’enfants sont morts de faim, de maladie et/ou de détresse. Ils étaient séparés de leur mère. Quant à moi, j’ai attrapé des maladies infantiles, notamment la varicelle, je me grattais terriblement. J’étais très mal, comme consolation, je me rappelle que l’on m’a donné un peu de lait sucré. Puis, pendant plusieurs mois, j’ai fermé la porte de ma conscience, je n’ai plus de souvenirs, c’est effacé. Nous avons passé près de 3 mois à Vught. Les hommes travaillaient, c’était de la main d’œuvre gratuite, ils étaient employés notamment à l’usine Philipps ».

Photo 16 : Le faux passeport du Honduras, reçus vers mai 1943 à Vught (document fourni par Mme Askolovitch).

*Notre témoin donne une précision importante concernant des faux papiers d’identité qui ont sauvé des vies : « Juste avant d’être déportés, mon père avait obtenu d’un ami suisse de faux passeports signés par les consuls comme quoi nous étions des citoyens du Honduras. Il y avait 3 pays qui avaient établi des faux passeports pour protéger les Juifs : le Honduras, le Paraguay et Tahiti, pays neutres. Nous avons reçu ces passeports de Honduras vers mai 1943, un peu avant le transport des enfants les 6 et 7 juin 1943. Le « Kindertransport » a été décidé à Vught : les nazis voulaient liquider les enfants qui, « dérangeaient », car toujours malades, mourants. Ces deux terribles journées de juin 1943, deux trains avec en tout 1269 enfants, avec leurs mères et pères, en tout environ 3000 personnes ont quitté Vught, avec un arrêt à Westerbork, où 100 personnes ont pu rester (dont ma mère et moi, grâce au passeport du Honduras), et les autres ont été tous gazés à leur arrivée à Sobibor. Ce Transport des Enfants est unique. Il est commémoré tous les ans à Vught et j’y suis allée l’année dernière pour y témoigner et raconter, mais je ne souhaite plus y retourner… ».

Photo 17 : Un wagon à bestiaux utilisés pour déporter des Juifs vers les camps.

*Elle nous explique le départ vers Westerbork aux Pays-Bas, camp de regroupement et de transit, du 7 juin 1943 au 14 février 1944 : « Nous avons été rassemblés pour partir dans des wagons à bestiaux, je n’arrivais plus à marcher, ma mère a dû me porter. Notre déportation s’est poursuivie à Westerbork. Là, nous avons eu la chance incroyable de retrouver un ami de mes parents. Il nous a tout de suite conduites dans une baraque et il a dit à ma mère : « tu ne bouges pas de là, sous aucun prétexte, tu restes là ». Ma mère a raconté qu’elle entendait le bruit de portes qui claquaient, des sifflements. A chaque fois qu’il y avait un coup de sifflet vers 6/7h, 3000 personnes étaient dirigées vers le train en direction d’Auschwitz où ils étaient tous gazés à l’arrivée. À Westerbork, je ne me rappelle de presque rien. J’étais dans un état de fatigue très avancé, donc je me suis tout d’abord doucement rétablie ».

Photo 18 : Seule photo Evelyn avec ses grands-parents paternels avant leur déportation. Elle date de 1939/1940, elle a environ 1 an et demi. Elle est prise à Amsterdam, ils s’appelaient : Isaak Sulzbach et Jenny Sulzbach née Baer (document fourni par Mme Askolovitch).

*Elle raconte la terrible fin de ses grands-parents paternels : « Ma mère a retrouvé ses beaux-parents : Isaac Sulzbach, décédé le 14 juin 1943 à l’hôpital de Westerbork, et Jenny Sulzbach. Tous les mardis, un train partait vers l’Est. En tout, 93 convois transporteront 55 000 Juifs vers Birkenau, 34 000 Juifs vers Sobibor, 4 000 vers Bergen-Belsen et environ 5 000 vers Theresienstadt. Ces trains étaient bondés, ils revenaient vides, on savait que ceux qui partaient ne reviendraient pas. Le 19 juillet 1943, ma grand-mère a été ‘mise au transport’, elle faisait partie d’un train transportant 3000 personnes. Mon père était désespéré à l’idée que sa mère soit embarquée dans ce train. Il a supplié les SS de la laisser descendre, en soulignant qu’elle était âgée, qu’elle pleurait. La seule réponse, cynique, qui lui a été faite, c’est qu’il pouvait prendre sa place s’il le souhaitait. Ma mère a tout de suite rétorqué : « mais tu ne vas pas nous abandonner ici moi et Evelyn ! ». Il n’a donc pas pris la place de sa mère, qui est partie et n’est jamais rentrée. Mais depuis ce jour, mon père n’a plus été heureux, son cœur s’est brisé à tout jamais. Plus tard, on m’a relaté qu’il était une personne joyeuse avant sa déportation, moi je ne l’ai connu que triste. Il n’a plus jamais eu confiance en l’humanité, il estimait que le monde était foncièrement mauvais et que seuls les enfants étaient bons ».

Photo 19 : Le boulevard des misères au camp de Westerbork.

*Quelques précisions historiques sur le camp de Westerbork situé aux Pays-Bas : https://aboutholocaust.org/fr/facts/a-quoi-servait-le-camp-de-westerbork-aux-pays-bas -Il est surtout connu pour son rôle en tant que camp de transit à partir de 1942, dans le cadre de la Solution finale. C’était le point d’origine pour des milliers de Juifs néerlandais envoyés dans les camps d’extermination entre 1942 et 1944. Westerbork avait initialement été créé par le gouvernement néerlandais comme camp destinés aux réfugiés de l’Allemagne nazie en 1939. À partir de juillet 1942, il est devenu un camp de transit (Durchgangslager) dirigé par les SS. Les premiers convois ont transporté 2 030 Juifs de Westerbork à Auschwitz les 15 et 16 juillet 1942. Ils sont arrivés à destination le 17 juillet. La Chronique d’Auschwitz rapporte que 449 déportés ont été tués dès leur arrivée. À partir d’octobre 1942, le camp fut commandé par le SS-Obersturmführer Albert Konrad Gemmeker. Ce dernier mit en place une routine, avec des déportations tous les mardis. Au total, 103 convois, soit 97 776 déportés, quittèrent Westerbork entre juillet 1942 et septembre 1944. Ces convois avaient comme destination Auschwitz, Sobibor, Terezín/Theresienstadt et Bergen-Belsen.

*Elle nous relate l’état d’esprit des personnes à Westerbork avant leur « mise au transport », puis leur déportation à Bergen-Belsen, du 15 février 1944 au 21 janvier 1945 : « Notre seul espoir, était que la guerre se termine. Nous étions comme en sursis tant que nous n’étions pas dans la liste de passagers qui figuraient sur le prochain train. Une fois le train parti, nous avons essayé de ne plus y penser, et la vie reprenait son cours, mais plus le mardi approchait, plus nous étions angoissés à l’idée de figurer sur la liste. Nous avons à notre tour été ‘mis au transport’, au bout de 8 mois, le 15 février 1944, pour le camp de Bergen-Belsen. En effet, grâce à nos passeports du Honduras, pays neutre, nous avons évité d’être expédiés directement à Auschwitz ou Sobibor et nous avons été envoyés à Bergen-Belsen, camp de concentration et non camp d’extermination ».

Photo 20 : Le camp de Bergen-Belsen.

*Quelques précisions historiques sur le camp de Bergen-Belsen situé au nord de l’Allemagne : https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/article/bergen-belsen Le camp de Bergen-Belsen fut créé en 1940, à environ 20 km au nord de Celle en Allemagne. Jusqu'en 1943, Bergen-Belsen fut exclusivement un camp de prisonniers de guerre. Le complexe concentrationnaire de Bergen-Belsen était composé de nombreux camps mis en place à différents moments de son existence, qui servirent à incarcérer des prisonniers de guerre, des prisonniers politiques, des Juifs, des Roms (tziganes), des « asociaux », des criminels, des Témoins de Jéhovah, des homosexuels, des déportés malades. A partir de fin 1944, la surpopulation, les mauvaises conditions sanitaires, le manque de nourriture, d'eau et d'hébergement provoquèrent des épidémies de typhus, de tuberculose, de fièvre typhoïde et de dysenterie. Au total, env. 50 000 personnes moururent dans le camp de concentration de Bergen-Belsen, dont Anne Frank et sa sœur qui y décédèrent toutes deux en mars 1945.

*Mme Askolovitch parle ensuite de son vécu d’enfant à Bergen-Belsen : « De Bergen-Belsen, je ne me rappelle que de quelques images, en particulier des lits à trois étages. Moi et ma mère étions en bas. Elle me donnait la main. Je me revois en train de jouer avec un bout de raphia que ma mère avait volé pour que je m’occupe en son absence quand elle allait travailler. En fait, les enfants n’avaient pas leur place dans un camp au sens propre comme au sens figuré, car il n’y avait aucun espace prévu pour jouer. En dehors des baraques, il y avait la place d’appel pour compter les détenus pendant des heures… rituel sadique pour montrer aux Juifs qu’ils étaient des moins que rien. Mes parents travaillaient, j’étais seule. J’avais peur. Je me souviens qu’une femme soldat me regardait, et tout d’un coup j’ai pensé que je n’avais pas le droit d’avoir un petit morceau de chanvre, que ma mère l’avait volé pour moi, et que nous allions donc être tuées toutes les deux, j’étais paniquée, mais la femme a poursuivi son chemin. Je me rappelle aussi quand les Américains ont bombardé Bergen-Belsen. J’étais seule, il y avait un boucan monstre. Des bombes sont tombées par erreur sur la place d’appel. J’ai hurlé de terreur, j’étais totalement paniquée ».

*Elle nous explique ensuite comment ces événements traumatiques de la prime enfance peuvent ressurgir plus tard de manière inattendue : « Je dois vous raconter une anecdote : j’ai une maison de campagne en Eure et Loire. Un petit avion de tourisme passait, paisible, soudain, j’étais sous les bombes, je revivais la panique ressentie petite-fille... Le souvenir était là. J’ai eu aussi une réminiscence au sujet du lit à trois étages. J’étais avec un groupe d’amis en Israël, on nous a montré un camion avec une reconstitution d’un lit à 3 étages, je suis sortie en hurlant, j’étais à Bergen-Belsen ».

*Elle essaye de nous faire comprendre ce que peut être la déportation aux yeux d’une jeune enfant : « J’ai des souvenirs bizarres, propres aux enfants. Ma mère avait pu prendre une petite valise, mais elle avait disparu, on nous l’avait sans doute volée. Je me vois pleurant sur les robes perdues. Ma mère m’a dit pour me consoler : « ce ne sont que des robes », mais moi, je regrettais amèrement ces robes aux tissus fleuris, alors que nous étions dans un lieu où l’apparence ne jouait plus aucun rôle ».

*Mme Askolovitch nous relate comment sa mère a réussi, par une chance incroyable, à améliorer un peu leurs conditions de vie à Bergen-Belsen, ce qui a permis leur survie : « Heureusement qu’elle avait pris avec elle son certificat d’anglais. Quand ma mère était absente la journée, je n’arrêtais pas de pleurer. La baraque à côté de la nôtre était celle des grecs. Comme ils avaient coopérés en livrant les Juifs de Salonique (90% d’entre eux ont été gazés), ils étaient valorisés et considérés comme des chefs qui avaient le droit d’être à côté des Allemands lors de l’appel. Ils voulaient apprendre à parler l’anglais. Une amie a glissé à l’oreille de ma mère qu’il serait astucieux qu’elle propose à ces grecs de leur donner des cours d’anglais et qu’en échange, sa petite-fille Evelyn, qui pleurait en son absence, pourrait rester avec elle et recevoir une ration de pain supplémentaire. Ma mère est allée voir le chef de la baraque et lui a proposé le deal. Il lui a dit de revenir le lendemain, et finalement, il a accepté. Ce Monsieur s’appelait Albada, il a fait 15 ans de prison après la guerre ».

*Elle en vient à préciser leur régime alimentaire à Bergen-Belsen : « Les rations de pain hebdomadaires faisaient 7 cm de largeur. Ma mère était disciplinée, elle coupait la ration en 7 tranches d’1 cm pour en avoir chaque jour. C’était la seule nourriture un peu consistante, sinon, nous avions une soupe d’orties et d’épluchures de légumes. Je me rappelle de l’anniversaire de mes 6 ans, j’ai eu 3 cadeaux : 1. Une tartine de pain avec des flocons d’avoine autour ; 2. un petit lit en bois pour mettre une poupée ; 3. une petite poupée en bois ».

Photo 21 : L’épidémie de typhus à Bergen-Belsen.

*Puis elle évoque l’épidémie de Typhus qui a fait des ravages à Bergen-Belsen : « Ma mère avait très peur d’attraper le typhus. Tout le monde avait des poux de tête, mais le typhus s’attrapait par les poux de corps. Il y a eu beaucoup de mort par le typhus à Bergen-Belsen ».

*Elle relate la fin de leur calvaire, ainsi que leur séjour d’un an au camp de Biberach du 24 janvier 1945 au 29 janvier 1946 : « Début janvier il a été question que les détenteurs de passeports du Honduras, du Paraguay, de Haïtiti (pays neutres) pourraient être échangés contre des prisonniers de guerre. Nous étions sur la liste. Le 20. 01. 1945, ce fut notre dernier appel. Mon père était couché et il fallait se rendre à l’appel, il ne restait plus qu’une centaine de personnes en vie. Mon père était alité, avec de la fièvre et a déclaré : « Je n’en peux plus, je n’irais pas ». Refuser d’aller à l’appel signifiait mourir. Ma mère s’est mise à crier sur mon père. Moi, j’étais fâchée que ma mère hurle sur mon père, je lui ai donné un coup de pied. Heureusement, elle s’est imposée et a traîné mon père vers la place d’appel, ce qui lui a sauvé la vie. Nous avons appris que nous partions avec le train, mon père était désespéré d’être à nouveau envoyé ailleurs. Pour ma part, je ne me rappelle plus d’aucun train. Là, ce n’était plus un train à bestiaux, mais un train blanc de la Croix-Rouge. Nous sommes sortis de Bergen-Belsen le 21. 01. 1945. Nous avons quitté ce camp trois mois avant sa fermeture. Nous sommes passés par Hanovre jusqu’à la frontière suisse. Cent personnes devaient descendre du train à la frontière, mon père a voulu être de ceux-là. Biberach se situait en Bavière à la frontière suisse. Ce train a poursuivi son trajet à travers la Suisse, puis la France jusqu’en Algérie. À la descente du train, mon père est tombé dans la neige, j’ai eu très peur, mais il m’a rassuré en me disant : « on va me mettre dans un hôpital et me guérir, ne t’inquiète pas ». Et c’est ce qui est arrivé. Nous sommes arrivés à Biberach le 24. 01. 1945, et sommes restés dans ce camps près d’un an. Nous en sommes partis le 29. 01. 1946 et sommes arrivé à Amsterdam seulement le 31. 01. 1946 ».

Photo 22 : Evelyn au camp de Biberach (document fourni par Mme Askolovitch).

*Elle évoque le fait qu’après l’armistice, le retour à la réalité a été cruel pour les Juifs déportés et rescapés : « Le 8 mai 1945, c’était la fin de la guerre. Nous les Juifs déportés, nous n’étions plus rien, ni des Hollandais, ni des citoyens du Honduras… seulement des personnes déplacées (displaced person), sans papiers. Nous sommes restés un an à Biberach parce qu’une fois la guerre finie, il fallait décider où les rescapés pouvaient et voulaient aller. Les personnes qui avaient un passeport hollandais sont parties aux Pays-Bas. Celles qui avaient des familles aux Etats-Unis, et qui leur avaient envoyé une invitation, partaient là-bas. Nous étions apatrides, sans vrai passeport, et personne ne nous avait envoyé d’invitation. La sœur de ma mère avait essayé d’en obtenir une, afin que nous puissions venir en Argentine, mais ce pays n’accueillait plus personne, leur capacité d’accueil était déjà atteinte. Mon père a écrit une longue lettre à son frère, ses sœurs et aux parents et à la sœur de ma mère, où il a raconté tout ce que nous avons enduré. Il ne désirait pas revenir aux Pays-Bas, car tous nos amis avaient disparu. Mais les membres de notre famille qui étaient réfugiés à New York ne souhaitaient pas nous accueillir. Ils ne voulaient pas avoir la responsabilité de subvenir à nos besoins au cas où mon père ne trouverait pas de travail. Il y avait même comme une suspicion non formulée : pourquoi, eux, ont-ils survécu ? Les Pays-Bas ont tout d’abord refusé de nous prendre, bien que nous venions d’Amsterdam et que mon père avait fait une demande de naturalisation avant la guerre. Cela a traîné un an, et La Croix rouge a fini par obtenir que les Pays-Bas acceptent de nous prendre ! Nous sommes montés dans un camion de la Croix-Rouge le 29. 01. 46, nous avons effectué un séjour de 24h dans une caserne à Maastricht, première ville des Pays-Bas, où ils ont regardé nos papiers, vérifié si tout était en règle et si nous n’étions pas des espions, puis nous sommes partis pour Amsterdam le 31. 01. 46. En arrivant, il y avait des drapeaux dans toute la ville, et avec mes yeux d’enfant, je pensais que c’était pour nous. Plusieurs années plus tard ma mère m’a dit que c’était pour l’anniversaire de la petite princesse Béatrix, nous n’étions en réalité pas les bienvenus. Nous avons eu un logement situé sous un toit d’un ancien client. Je dormais dans la salle de bain. Je suis allée dans une école juive, nous étions 41 élèves en CE2. Je savais lire, écrire, calculer. Tous nous avions été soit déportés dans les camps, soit cachés, soit dans les ghettos. Mais personne n’en a jamais parlé. On ne savait pas pourquoi un tel n’avait pas de père ou de mère ».

Photo 23 : école après la guerre lors de l’année scolaire 1947/1948. Evelyn est tout en haut 3ème à partir de la gauche, dans l’école juive Rosh Pina à Amsterdam (document fourni par Mme Askolovitch).

*Elle nous raconte comment elle est progressivement revenue à une vie normale : « Les enfants sont dotés d’un grand pouvoir de résilience. Nous étions 41 enfants rescapés des persécutions, on a rebondi. On est redevenu des enfants, on a fait un bonhomme de neige et des batailles de boules de neige. On nous a échangé nos guenilles contre des vêtements corrects. Mais en réalité je n’étais plus une enfant comme les autres : j’ai dû par exemple apprendre à monter et descendre correctement les escaliers, car il n’y avait pas d’escaliers dans les camps. J’ai dû apprendre à éplucher les bananes et les oranges. Mais peu à peu, j’ai retrouvé des jeux ».

*Notre témoin évoque le long silence qui a suivi cet épisode tragique de la déportation : « Ma mère est décédée le 08. 03. 2019, à l’âge de 104 ans, elle était née en 1914. Job Ascher, qui était sur la photo de classe, m’a rendu visite à l’occasion de la semaine de deuil qui suit le décès d’un parent dans le rituel juif. Il m’a dit qu’il avait été lui aussi déporté à Bergen-Belsen, mais il n’avait pas eu ma chance, à savoir rentrer avec ses parents vivants. Quand il était petit, nous savions qu’il n’avait ni son père, ni sa mère, et qu’il vivait chez un oncle et une tante. On ne se posait pas de questions. Personne n’en a jamais parlé. C’était comme si cela n’avait pas existé pour les enfants. Le silence a évacué tout cela ».

Photo 24 : Evelyn et sa maman faisant du patin à glace en hiver 1947 (document fourni par Mme Askolovitch).

*Elle a été rattrapée par son passé vers l’âge de 50 ans : « Ce n’est que vers mes 50 ans que j’ai commencé à avoir des cauchemars. Il faut dire que je suis devenue entretemps une battante. J’ai été 5 fois en URSS, j’ai rencontré Simone Veil, j’ai défendu la cause des femmes battues… La Shoah me semblait très loin derrière moi. En 1988, suite à ces cauchemars, j’ai commencé à écrire quelques souvenirs de ma déportation. J’avais 6 ans quand j’étais à Bergen-Belsen. Mon mari a fait publier ces quelques souvenirs. Elie Wiesel, ami de mon époux, a fait un commentaire positif à leur sujet ».

Photo 25 : L’attestation de déportée à Bergen-Belsen, reçue en 2010 (document fourni par Mme Askolovitch).

*Pour achever son témoignage, elle évoque le long processus qui lui a permis d’être reconnue comme victime de la Shoah : « Finalement, on m’a envoyé des documents officiels attestant de ma déportation avec mon nom : Evelyn Askolovitch, j’étais reconnue dans mon identité propre, et non comme seulement la fille de… Le certificat et d’autres (25 en tout), je l’ai reçu en 2010 venant du Mémorial de l’Holocauste de Washington où La Croix Rouge a déposé tous les documents en rapport avec la Shoa et l’Holocauste. Ainsi, j’étais face à la vraie réalité : j’avais bien été dans trois camps, car j’étais juive. Deux années de ma petite enfance m’ont été volées ».

Photo 26 : Evelyn, pensive, en 2016 à Nice, lors d’un colloque dans un établissement scolaire (document fourni par Mme Askolovitch).

Depuis 2015, je témoigne. Je peux dire pour conclure que je vois la vie autrement que les gens. Les honneurs ne me touchent pas vraiment. Je relativise tout. Tout le monde est important à mes yeux, je ne fais pas de hiérarchie. Je suis quelqu’un qui n’est pas comme les autres, du fait de cette expérience. Je vois la vie autrement … ».

Un silence poignant règne dans le CDI, les élèves sont abasourdis d’entendre ce témoignage donnant corps et voix aux horreurs perpétrées par la barbarie nazie.

*Photo 27 : les élèves du lycée du Haut-Barr écoutent attentivement.

Témoignage de M. Bernard Roth

*Photos 28 et 29 : M. Bernard Roth prend la parole devant les lycéens.

« Pendant la Seconde guerre mondiale, 6 millions de Juifs ont été assassinés, à cause de l’antisémitisme. En 1947, au collège à Strasbourg, j’avais 10 ans, et des jeunes de mon âge me traitaient encore de « sale juif ». L’antisémitisme était toujours présent. On enseignait encore à l’époque le mépris des Juifs au prétexte qu’ils auraient été déicides, ce qui est inexact puisque ce sont les Romains qui ont fait mettre Jésus en croix. En 1944, nous étions, moi et ma famille, réfugiés en Savoie. On m’a dit à l’époque : « Tes grands-parents et ton oncle chéris sont partis pour un long voyage » sans autre explication ».

*Photos 30 : Les grands-parents et l’oncle de M. Roth qui ont été déportés et ne sont jamais rentrés.

« En fait, j’ai appris plus tard, qu’ils s’étaient cachés dans un village, mais qu’un villageois les avait dénoncés à la milice, si bien que la gestapo est venue les arrêter avec 3 (!) voitures. Ils les ont fait monter dans les véhicules et ils ont disparu. Grâce aux travaux et recherches de Serge Klarsfeld et son épouse Béate, j’ai pu retrouver qu’ils avaient été déportés par le convoi N° 69, du 07 mars 1944, vers Auschwitz. Pour mon oncle, il a peut-être été ensuite déporté vers la Russie. On n’a plus jamais eu de nouvelles. Pour mes grands-parents, ils ont été gazés. A leur arrivée à Auschwitz, on leur faisait prendre une « douche », les nazis mettaient de l’acide dans les bouches d’aération, les corps étaient tétanisés, les personnes asphyxiées et les corps brûlés dans les fours crématoires. C’était une usine de la mort ».

*Photo 31 : Auschwitz.

*Quelques précisions historiques sur le camp d’Auschwitz situé dans la Pologne occupée : https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/article/auschwitz Auschwitz est le complexe concentrationnaire le plus grand de son genre, et joue un rôle central dans le projet nazi de « solution finale ». Il reste dans l'histoire comme le plus tristement célèbre des camps de la Shoah. On estime à au moins 1,3 million le nombre de personnes déportées par les SS et la police vers le complexe du camp d’Auschwitz entre 1940 et 1945. Environ 1,1 million d'entre eux ont été assassinés. La meilleure estimation du nombre de victimes dans le complexe, comprenant le centre de mise à mort d'Auschwitz-Birkenau, dans ces années est la suivante : Juifs (1 095 000 déportés à Auschwitz, 960 000 décédés) ; Polonais non juifs (140 000-150 000 déportés, 74 000 décédés) ; Tsiganes (23 000 déportés, 21 000 décédés) ; Prisonniers de guerre soviétiques (15 000 déportés et décédés) ; Autres nationalités (25 000 déportés, 10 000-15 000 décédés). Auschwitz-Birkenau a le taux de mortalité le plus élevé, mais aussi le taux de survie le plus élevé de tous les centres de mise à mort. Au cours de la Shoah, un camp seulement apposait un tatouage aux prisonniers de camp de concentration : Auschwitz. Ceux qui arrivaient se voyaient attribuer un numéro de série qui était cousu à leur uniforme. Ceci ne concernait que les prisonniers sélectionnés pour le travail. Ceux qui étaient envoyés directement dans les chambres à gaz n'étaient ni enregistrés ni tatoués.

*Bernard Roth souligne que : « c’est pour ne pas les oublier ces horreurs et ces deuils que nous avons une vraie obstination du témoignage. Evoquer le nom des disparus, c’est les ramener dans la communauté des vivants ».

*Photos 32 et 33 : Les noms gravés sur une stèle du souvenir au cimetière de Wolfisheim. Les Stolpersteine, à Wolfisheim également, berceau de la famille Roth, aux N° 67/69, rue du Maréchal Leclerc, ancienne rue principale.

« Par ailleurs, je voulais vous dire que pour avancer dans la vie, il faut faire preuve de résilience vis-à-vis de ces cruels évènements familiaux. A ma retraite à 65 ans, je me suis mis au service des autres dans de nombreuses actions solidaires et citoyennes. Et aussi je me suis mis au sport, et j’ai relevé des défis incroyables, où je me suis toujours dépassé, en plaçant la barre au-dessus de ce que je croyais possible pour moi, qui ne suis pas un athlète (ascension à 7000 m d’altitude, 333 km de course non-stop dans le désert, Diagonale des fous, marathon des sables, triathlons commencés à 72 ans, nage caritative dans une eau à 1° C, etc.). Les activités sportives génèrent des bienfaits pour le corps et des vertus sur le mental ».  

Photos 34 et 35 : « Tout est possible dans la vie :  en Alsace, et ailleurs, du mur d’escalade (15 m) jusqu'au sommet de l'Aconcagua (7000 m) … ».

Photos 36 et 37 : « …des 45 degrés du désert blanc d’Egypte (et raid de 333 km non-stop) jusqu' aux 2 degrés d'un étang gelé (bain caritatif avec un jeune non-voyant) … ».

Photos 38 à 40 : « …en faisant 1900 m de nage et en montant sur le podium du triathlon à Gérardmer … tout est possible ! »

« Au Haut-Barr, la barre est haute, et vous aussi pouvez-vous aussi aller très loin, il faut oser surmonter ses propres limites. Si moi, j’ai réussi les défis sportifs et humanistes que je me suis donnés, vous pouvez faire de même ! Tout est question de volonté et de ténacité : Je ne savais pas que c’était impossible, … donc je l’ai fait. Abandonner, c’est renoncer avant d’avoir réussi : les seules défaites sont les combats non menés ».

Pour terminer M. Bernard Roth a eu un geste amical de générosité à l’égard de Mme Le Van pour la remercier d’avoir organisé cette rencontre. Il lui a offert un cadeau symbolique : un boomerang en bois - réalisé par l’association « Sport, Solidarité, Insertion » à l’occasion de la cérémonie pour son élévation au grade de Commandeur de la Légion d’honneur qui a eu lieu le 14. 11. 2009 - qui illustre le fait que « quand on sème du bien, du bien revient en retour ».

*Photos 41 à 43 : Un geste d’amitié de M. Roth à l’égard de Mme Le Van.

Tous les participants ont été très touchés par ce double témoignage et ont remercié chaleureusement les deux intervenants.

*Photo 44 : Le groupe au CDI pour ce moment unique.

Merci infiniment à tous ceux qui ont rendu ce temps de témoignage possible, en particulier Mme Jezequel, Mme Montembault et Mme Buttin, pour la prise en charge de l’aspect logistique et technique.

APPENDICE : Citations que M. Bernard Roth souhaite partager aux jeunes : « Voici les pensées qui m'ont accompagné pendant ces épreuves sportives ».  

« Là où il y une volonté, il y a un chemin », Edward Whymper, premier vainqueur du Cervin.

« Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait ! », Mark Twain.

« L'homme se découvre quand il se mesure à l'obstacle », Saint-Exupéry.

« Le succès consiste à aller d’échecs en échecs, sans perdre son enthousiasme », Winston Churchill.

« Il est peu de réussites faciles, ni d’échecs définitifs », Marcel Proust.

« Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer », Guillaume d'Orange-Nassau.

« Ce n’est pas le chemin qui est difficile, mais le difficile qui est le chemin », Kierkegaard, philosophe existentialiste.

« La réussite, c'est 1% de chance, et 99 % de transpiration », Thomas Edison.

« Tomber 7 fois, se relever 8 », Proverbe chinois.

« Ce qui ne tue pas rend plus fort ! », Nietzsche, philosophe.

« L'échec est le fondement de la réussite », Lao Tseu.

« Avec des ''si'', on vit au conditionnel - avec des ''mais '', on vit dans l’imparfait - avec des ''oui'', on répond présent ! », Maxime populaire.

« Il faut toujours mettre la barre un peu plus haut que ce qu'on se croit capable de faire », Maxime populaire.

« Tu le veux, tu le peux. Les seules défaites sont les combats non menés », Bernard Roth.

« Refuser de s'améliorer, c'est déjà être moins bon », Devise du FC Nantes.

« La volonté raccourcit le chemin », Proverbe japonais.

« Vouloir arriver, c’est avoir déjà fait la moitié du chemin », Alfred Capus, journaliste, romancier, dramaturge.

« Les tigres d'acier n'étaient que des tigres de papier », Jean-François Deniau.

 

Article rédigé par Claire Le Van, le 30. 03. 2023.

 

Article DNA du vendredi 31 mars 2023 : « Evelyn Askolovitch, rescapée de la Shoah, parle aux lycéens ».

 

Revue Nationale « Légion d’honneur », La Cohorte N° 242 : « Bernard Roth, le passe-muraille ».

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