Le mercredi 27 septembre, les élèves de 1èG2 du lycée du Haut-Barr ont fait une excursion poétique en forêt, avec leur professeure Edwige Lanères et l’assistant d’éducation Maurin Barale.
La classe de 1èG2 étudie le recueil d’Hélène Dorion : Mes forêts, pour le bac de français. Afin de se familiariser avec l’écriture poétique de la nature et de l’intime -tel est l’intitulé du parcours -, les élèves ont appris et récité le poème liminaire : « Mes forêts sont de longues traînées de temps ».
Les jeunes ont acquis le recueil et commencé à le lire, doucement, au gré de leurs envies.
A présent, ces poètes et poétesses en herbe s’apprêtent à arpenter la forêt, juste derrière le lycée, pour composer à leur tour des vers inspirés par la terre des sous-bois, l’odeur de l’humus, la sensation de leurs pas élastiques sur le sol tapissé d’aiguilles de pin, le craquement des arbres morts, les chants des oiseaux dupés par cet été tardif…
Rendez-vous devant le lycée, avec Maurin, l’AED qui s’est porté volontaire pour encadrer les trente-cinq écrivain·es. La troupe s’ébranle joyeusement sur le sentier qui longe le Clos de la garenne. Nos pas sont bruyants. Nos paroles aussi. Nous faisons mentir Andrée Chedid (la grand-mère du chanteur de « La seine » : -M-), quand elle écrit : « Se fixer, se figer, serait rompre l’écoute ». Notre vaillant groupe est si sonore que la nature semble muette. Un instant, figeons-nous, cessons nos babillages, écoutons… Les sens s’affutent lentement. L’attention s’aiguise. L’analyse aussi, parfois : « C’est un merle ? » « Une merlette, regarde, elle est brune. »
L’oiseau s’envole en direction de l’if, sentinelle vénéneuse postée à l’orée du bois. Les animaux savent que les aiguilles de cet arbre sont toxiques. N’y touchons pas.
Avant de poursuivre notre chemin en direction du château du Haut-Barr, lisons ensemble les pistes que je vous propose : elles devraient vous aider à vous lancer dans l’écriture.
D’une voix de basse, Timm entame la lecture, suivi par Roxane.
« - Qu’est-ce que c’est, les synesthésies ? » s’enquiert un élève.
- La meilleure définition que je connaisse, c’est ce vers de Baudelaire que vous venez de lire : "Les parfums, les couleurs et les sons se répondent". Il s’agit d’une correspondance entre les différents types de sensations -l’ouïe, la vue, le toucher, l’odorat, le goût-, voire d’une confusion entre ces perceptions sensorielles. Si tu parviens à capter en toi des synesthésies, et à les exprimer dans tes vers, tu pourras les transmettre à tes lecteurs et lectrices. »
Tu sens cette odeur forte de champignon ? C’est un jeune polypore, il est encore tendre ; bientôt il sera plus dur que du bois.
Nous reprenons notre ascension, plus attentifs, cette fois, à la sensation de l’air tiède sur nos joues, aux formes élancées des sapins blancs des Vosges, à leurs aiguilles au dos desquelles deux traces de ski semblent dessinées.
« - Madame, c’est un cours de SVT ?
- Mais non, c’est simplement pour affiner ta vue et enrichir ton vocabulaire : si toute la classe écrit uniquement le mot "arbre" sans distinguer le pin sylvestre de l’épicéa, c’est un peu dommage. En lisant vos vers, je n’imaginerai que de façon floue tout ce que je pourrais voir de façon bien plus nette si vous choisissiez des termes précis. Cependant vous pouvez composer un flou artistique, si vous en avez envie ; c’est un choix. »
- On peut s’arrêter là, pour écrire ?
- Je pensais monter encore un peu, pour atteindre la trouée de soleil, mais si l’ombre des sous-bois vous convient, soit, arrêtons-nous. Vous pouvez rester en groupes, ou vous éloigner un peu, vous isoler, si vous le souhaitez.
Très vite, les cercles de poètes et poétesses se constituent, tandis que quelques élèves gagnent les pinèdes, les hêtraies, pour trouver l’inspiration.
« Des châtaignes ! » remarque Hakim.
- Oui ; elles pourraient solliciter notre sens gustatif, pour composer des poèmes sensoriels, mais, crues, elles laissent en bouche une sorte de texture farineuse plutôt désagréable…
Catabase, anabase ? Que peuvent bien écrire Gaelle et Roxane ?
Maëlle et Anaïs forment un binôme contrasté : vers longs VS vers courts ;
poème calme sur « l’endormi » VS poème d’amour hérissé de piquants.
Alexis, Ulysse et Antoine s’élèvent sur leur Mont Parnasse pour composer leurs poèmes.
Garance, Eva, Méline et Mathilde échangent leurs idées.
Lisa s’isole sur le sentier pour écrire.
Adryen, Rémi (de dos), Thibaut, Hakim et Melih rédigent des vers synesthésiques ; l’émulation du groupe est fructueuse.
Parfois, c’est en osant quitter un moment la bande d’amis que l’on parvient à se mettre à l’écoute de ses propres sensations, et à en faire la matière des vers. Melih semble hésiter entre ces deux postures : la fusion dans le groupe, ou l’éloignement momentané.
Poème de Melih : « Admire »
Maurin, assistant d’éducation au lycée, garde un œil vigilant, notamment sur les élèves qui s’isolent dans les bois pour écrire.
Maxime, Alice, Timm, Gautier, Titouan et Simon
composent des poèmes sylvestres.
Tout de bleu vêtu, le cercle des schtroumpfs poètes partage des idées : la croisée des chemins évoque pour eux leur avenir tout proche ; les chênes des protecteurs ; les arbres des poumons…
Poème de Gautier : « Mes forêts sont des réserves de vie »
Entre les vers, on sent poindre l’urgence de préserver la forêt ; les préoccupations écologiques affleurent au côté des questionnements sur l’existence.
Poème de Titouan : « Mes arbres sont les poumons de la terre »
Poème d’Aurélien (à droite sur la photo) : « La nature ».
D’autres poèmes explorent davantage les sensations procurées par la forêt : les ronces piquent, les feuilles des charmes se confondent (presque) avec celles des hêtres ; les châtaignes s’arment de bogues acérées ; les pins lancent nos regards vers le ciel ; le souvenir du brame des cerfs hante encore les bois…
Poème sensoriel de Maxime.
Poème de Simon, sur les sentiers de la vie.
Par-delà les sens, les synesthésies et les réflexions métaphysiques, certaines plumes de jeunes poètes s’aventurent vers un cheminement mystique, tels les vers d’Ulysse.
Poème d’Ulysse : « Vois, contemple, admire »
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Quelques élèves convoquent les figures de style apprises en classe : anaphore, personnification, comparaison, question rhétorique… Gaëlle jongle avec tous ces effets pour exprimer la peur de l’avenir et l’aspiration à se libérer de cette crainte.
Poème de Gaëlle : « Seule, un long soir d’hiver ».
Certains poèmes, tel celui d’Erin, évoquent la création poétique elle-même, comme le fait souvent Hélène Dorion dans son recueil.
Poème d’Erin : « Promenade en forêt ».
Poème d’Antoine : « Les forêts franchissent le ciel »
- Avez-vous ébauché quelques vers ? Pouvons-nous reprendre la marche vers le château ? demande la professeure, galopant un peu partout à la recherche des élèves éparpillés.
Poètes et poétesses acquiescent ; nous voilà repartis sur le grès rose et la terre sablonneuse.
- Ces troncs qui ressemblent à des pattes d’éléphants, de sont ceux des hêtres. Et ceux qui ont une écorce blanche, tu les connais, bien sûr.
- Oui : les bouleaux !
- Une cabane !
- Deux, trois cabanes !
Les étudiant·es courent comme des enfants, explorent les tipis de bois bâtis par des mains habiles. Aussitôt cette clairière semée de huttes légères devient la nouvelle aire de composition pour nos jeunes écrivain·es.
Assis sur une pierre de grès rose, Alexis affine sa plume dans un tipi de branchages.
Instinct grégaire oblige, les tipis se remplissent vite…
Mais d’autres constructions plus menues conviennent pour des compositions à quatre mains. Ici le duo de poètes se nomme Hakim et Thibaut.
Le poème de Maëlle, « L’endormi » évoque quelques réminiscences du célèbre poème de Rimbaud : « Le dormeur du val ».
Poème d’Anaïs : « Nos chemins se séparent »
Poème de Léa : « Les forêts sont des chemins de vie »
Poème d’Alexis : « La châtaigne »
Quittant à regret ce camp improvisé, la classe grimpe allègrement le chemin creux qui nous mène au château du Haut-Barr, où une équipe de géologues effectue des relevés.
Arrivée au château du Haut-Barr.
Nous avons juste de temps de faire une rapide pause, assis·es sur les grands troncs couchés au pied de l’édifice en ruine.
Thibaut lit à ses camarades le poème qu’il a composé avec Adryen et Rémi.
De gauche à droite : Melih, Arnaud, Lucas, Antonin, Thibaut, Garance et Mathilde.
Poème de Rémi, Adryen et Thibaut : « La forêt enchantée »
Déjà il faut rentrer, dévaler le sentier jusqu’au lycée. Nous aurions aimé monter sur le château, gravir l’escalier de métal, traverser le pont du diable, observer la forêt, les villages, les ruines du Greifenstein et du Grand Geroldseck, la tour du Brotsch, la plaine d’Alsace, et même, sous ce ciel immaculé, la flèche de la cathédrale de Strasbourg. Mais il est temps, hâtons-nous, descendons, retournons à nos routes, nos bus, nos trains…
Melih, Titouan, Gautier, Mathilde, Méline, Eva, Simon.
Cette escapade dans les bois s’avère fructueuse ; les élèves ont fait une jolie moisson de sensations et créé des poèmes personnels, au gré de leurs explorations. Ainsi mis·es en appétit, ces jeunes poètes et poétesses savoureront peut-être de façon plus intime le recueil d’Hélène Dorion : Mes forêts. Car ces forêts, même les plus intérieures, ce sont aussi un peu les leurs…
Je remercie chaleureusement Maurin d’avoir accepté de nous accompagner pour cette joyeuse virée sylvestre !
Et j’adresse un grand merci du fond du cœur à tou·tes les élèves, pour leur enthousiasme communicatif, et pour leurs poèmes où germe leur talent !
Edwige Lanères
Dessin de Roxane, inspiré par notre sortie poétique en forêt.
Blessé, Mika n’a pas pu venir avec nous. Cependant il a composé un poème inspiré par le brame des cerfs qui retentissait chaque soir, en cet ardent mois de septembre.