Les peintres amateurices traduisent des souvenirs en peinture.
Le 30 janvier 2025, le groupe de Terminale HLP, encadré par la professeure Edwige Lanères, a bénéficié d’un atelier artistique assuré par une peintre talentueuse : Vida Zaré.
En terminale HLP (Humanités, Littérature et Philosophie), le programme aborde la recherche de soi, à travers des thématiques transversales : « l’expression de la sensibilité » et « les métamorphoses du moi ». Aussi étudions-nous des œuvres d’art dans lesquelles transparaît le « moi » de l’artiste, et des extraits de La recherche du temps perdu, de Proust : ces textes, et notamment le fameux passage de la « madeleine » mettent en exergue le lien entre le « moi » passé et le présent, par le biais des perceptions sensorielles qui provoquent des réminiscences.
Au second semestre, nous étudions « l’humanité en question » avec, pour premier chapitre, « humanité et violence ». Pour s’approprier ces thèmes particulièrement sensibles, l’étude des textes est importante, mais non suffisante. Il importe que nos jeunes pratiquent un art -et pas uniquement en littérature-, et qu’ils / elles rencontrent des artistes qui subliment la souffrance, à travers leurs œuvres.
Actuellement, l’Espace Rohan accueille au cloître des Récollets une artiste en résidence : Vida Zaré, une peintre de grand talent.
L’artiste nous accueille chaleureusement dans son atelier, au milieu de ses toiles très hautes en couleurs. D’immenses visages nous contemplent ; Vida décrypte pour nous la symbolique des teintes choisies pour la mélancolie, la joie, la sérénité…
Ces visages peints symbolisent les émotions ressenties par la créatrice, à différents moments de son existence. Ils racontent, métaphoriquement, son histoire.
« Au départ cette figure était rouge ; je l’avais peinte sous le coup de la colère. Puis, en la reprenant, je l’ai recouverte de bleu, car j’étais apaisée. » Sur un autre tableau, le rose des fleurs entourant un visage de femme donne immédiatement une impression de joie.
« Qui voit la figure humaine correctement ? Le photographe, le miroir ou le peintre ? » demandait Picasso.
Une toile récente attire notre attention de l’autre côté de l’atelier : nous reconnaissons Ahou Daryaei, l’étudiante iranienne qui a protesté devant son université, à Téhéran, en sous-vêtements, alors qu’elle venait d’être interpellée par la police des mœurs parce qu’elle refusait de porter le voile.
C’était en novembre 2024.
La toile de Vida Zaré rend hommage au courage de l’étudiante qui a osé tenir tête à la police des mollahs. Cette jeune femme a été internée dans l’un des très nombreux asiles que ces religieux radicaux ont fait ouvrir pour « traiter » toutes les femmes qu’ils considèrent comme folles dès lors qu’elles refusent de s’aliéner à leurs diktats.
Sur ce tableau, la jeune iranienne est devenue l’allégorie de la liberté. Attachée à ses racines, qui sont représentées par des cordes s’enroulant jusqu’au sol-, la femme aux bras croisés, à l’allure déterminée, vient de briser un cadre. Le vent soulève ses cheveux, cette chevelure honnie par les mollahs. Elle regarde droit devant elle, hors champ, peut-être en direction d’un avenir plus juste, plus libre. Comme elle, de nombreuses femmes ôtent leur voile en Iran, et surtout à Téhéran. Les manifestations ont été réprimées si durement qu’il a fallu trouver d’autres moyens d’exprimer la résistance face au régime autoritaire de cette théocratie.
Ahou Daryaei est devenue un symbole de la résistance contre le régime des mollahs. Depuis la mort de Masha Amini suite aux violences policières (de la police des mœurs) le 16 septembre 2022, le mouvement de contestation s’est intensifié.
Il s’appelle « Femme, Vie, Liberté ».
Une deuxième allégorie se dresse à côté de cette toile : celle de la nature. Les yeux fermés, drapée dans une robe océan qui se prolonge en un voile hors cadre, la Nature saigne de sang et d’or.
Le climat se dérègle, la Nature agonise…
Pourtant, sur ces œuvres éblouissantes, c’est la vie qui semble l’emporter : les ginkgo bilobas puisent leurs forces dans le sol, via leurs immenses racines, pour s’élever en déployant une frondaison spectaculaire, qui se change en or chaque automne. Cet arbre doit sa réputation de résistance au fait que la première espèce qui repoussa après l’explosion de la bombe atomique à Hiroshima était le ginkgo biloba ; l’un d’eux survécut à cette attaque à un kilomètre de l’impact.
Les toiles de Vida Zaré traduisent la puissance des ginkgo biloba.
Il faut pourtant nous arracher à la contemplation, pour aborder la pratique !
Vida invite les élèves à tester des sensations : le velours bordeaux que l’on effleure, le goût des biscuits et des tisanes, l’odeur des bâtons de cannelle, les musiques douces…
Quelques sensations avant la création.
Nous notons une impression, un souvenir…
La sollicitation des sens – vue, ouïe, odorat, toucher, goût- renvoie parfois à des souvenirs, ou crée un état, une émotion. C’est à partir de ces impressions que les jeunes sont invité·es à choisir une teinte pour le fond de leur tableau.
Maxime peint au couteau, Emmanuel au pinceau…
Entouré·es par les magnifiques tableaux de Vida Zaré, nous rions de bon cœur de notre propre incompétence…
Vida nous prête des tabliers, elle dispose des dizaines de couleurs, de pinceaux, et différentes matières qui peuvent être incorporées aux tableaux.
Vida Zaré aide les élèves à composer les couleurs de leur choix.
Maxime s’empare du rouge, de l’orange, tandis qu’Emmanuel opte pour un bleu soutenu, qu’il applique en arche, comme un tunnel aquatique. Siméa préfère le vert vif, Gabrielle le rose pâle, Sarah incendie sa toile de carmin, et Boran étend une piste brune sous un coucher de soleil. « Vous pouvez créer des textures en collant des morceaux de papier, des éclats de peinture sèche, du tissu… ».
Gabrielle sèche sa toile à l’air chaud, avant de peindre le premier plan.
Le sèche-cheveux permet d’accélérer le séchage, pour passer aux silhouettes. Tout le monde est un peu intimidé : nous n’avons pas le talent de Vida, tant s’en faut ! Lançons-nous, pourtant : c’est une expérience…
Peindre le fond, passe encore. Les choses se corsent quand il s’agit de dessiner des souvenirs, des représentations figuratives.
Deux enfants minuscules jouent au ballon sous un ciel ou une vague immense : Emmanuel a-t-il retracé un souvenir d’enfance ? Maxime peint un soleil noyé de brume rouge qui nous rappelle les atmosphères de Turner, quand tout à coup, un OVNI s’invite sur sa toile : le jeune artiste a ôté des couches de peinture, créant ce halo mystérieux, une fenêtre ouverte vers tous les imaginaires. Son tableau confine à l’abstraction ; chacun·e de nous y voit autre chose ; on projette un peu de soi, on devient soi-même, un peu, l’auteur ou l’autrice de cette œuvre.
Emmanuel colle des simili diamants autour des silhouettes enfantines.
Boran : « Madame, je peux prendre le orange ? »
Maxime crée des effets de texture en collant de gros éclats de peinture sèche.
Sur sa toile écarlate, Sarah dessine avec application la silhouette noire d’un arbre dépouillé. Une nuée de papier doré (des emballages de Ferrero) y dépose une frondaison abondante qui évoque l’arbre aux mille écus, autre nom du ginkgo biloba.
Une autre amoureuse des arbres choisit une espèce plus familière sous nos latitudes : un sapin, ou un épicéa. Quelques paillettes le changent en sapin de Noël bien stable, symétrique, agréable comme un doux souvenir.
Vida prodigue ses conseils pour les teintes, les pinceaux, les formes…
Outre Emmanuel et ses mini silhouettes, seule Gabrielle fait surgir un humain sous ses pinceaux : une femme blonde, de dos, contemplant une galaxie de notes de musique, d’étoiles et d’éclats dorés. Quant à la professeure, elle s’évertue à tracer un hippocampe aux courbes souples comme une clé de sol. Peindre quand on n’est pas peintre, pas même amateurice, c’est comme jouer d’un instrument sans le connaître : c’est bon pour notre humilité ! Ha ha ! Malgré notre maladresse, nous éprouvons un plaisir calme, à plonger nos pinceaux dans la peinture crémeuse, très pigmentée, et à étaler les couleurs sur la toile, faisant surgir un mouvement, une forme, l’ombre d’une silhouette…
De vraies œuvres d’art nous environnent, sur les murs de l’atelier, alors que nous barbouillions allègrement, tâchant de tracer par miracle un semblant de quelque chose qui puisse vaguement rappeler nos images intérieures, nos impressions.
Et le lieu respire le calme, la sérénité : nous sommes au cloître des Récollets, sur un vieux parquet lustré par le temps et les pas des écoliers, car ce couvent médiéval a servi d’école autrefois. Le plafond haut, les tapis, les fauteuils profonds, la « splendeur orientale »… c’est un peu baudelairien.
Personne n’a envie de s’arracher à cette activité agréable, et encore moins à cet atelier que Vida Zaré a changé en un antre de paix et de douceur.
Il le faut, pourtant… Laissant là nos toiles que nous emporterons quand elles seront sèches, nous remontons au lycée du Haut-Barr, pour reprendre les cours, le rythme preste des journées scolaires.
Rien n’est achevé, faute de temps ; nous remettrons quelques coups de pinceaux plus tard…
Un cliché rapide, et nous filons au lycée !
Mille mercis à Vida pour son accueil chaleureux et son invitation au voyage sensoriel !
Merci à l’Espace Rohan, qui organise la résidence de cette merveilleuse artiste.
Et merci aux élèves, bien sûr, toujours partant·es pour les actions culturelles et artistiques !
Malgré le gel du Pass Culture collectif, l’art et la culture vivent encore, dans les écoles, les collèges, les lycées.
Edwige Lanères